mardi 23 juillet 2013

L'histoire mouvementée des prêtres-ouvriers en France

La non christianisation du monde ouvrier, tant dans les secteurs industriels que ruraux et navigants, fait prendre conscience à certains responsables de l’Eglise qu’il faut absolument imaginer quelque chose pour l’évangéliser.

Déjà, en 1940, Emmanuel Suhard, le nouvel archevêque de Paris, parle de certains quartiers de la capitale en ces termes :
« Sous ces toits qui fument, près de 6 millions d’habitants vivent et meurent, s’aiment ou se combattent, prient ou se désespèrent : voila la cité géante que Dieu m’a confiée en partage… Quand je parcours ces banlieues aux usines mornes ou les rues illuminées du centre ; quand je vois cette foule tour à tour raffinée et misérable, mon cœur se serre jusqu’à la douleur. Je n’ai pas à chercher loin le sujet de mes méditations, c’est toujours le même : il y a un mur qui sépare l’Eglise de la masse. Ce mur, il faut l’abattre à tout prix pour rendre au Christ les foules qui l’ont perdu. »

Et c’est pour y parvenir qu’il fonde, en 1941, la "Mission de France", dont le rôle consistera à former des prêtres qui seront envoyés dans les régions et les milieux (ouvriers et ruraux) les plus déchristianisés de France1 : « Il ne s’agit de rien de moins, déclare le cardinal, que le salut du pays, car la France ne se sauvera qu’en redevenant chrétienne. »

Mais c’est surtout le petit livre intitulé "France, pays de mission ?" écrit en 1943, par deux aumôniers jocistes, Henri Godin et Yvan Daniel, qui va avoir un retentissement insoupçonné2.
L’ouvrage suggère, en effet, une nouvelle forme de ministère qui permette aux prêtres de quitter le cadre paroissial pour exercer leur apostolat dans les zones ouvrières :
« Comme toutes les missions, la conquête du prolétariat est un travail austère et qui peut rester longtemps aride ; aussi demande t-il, à tous ceux qui l’entreprennent, qu’ils s’y abandonnent tout entiers…
C’est pourquoi ces missionnaires qui doivent se faire peuple doivent s’attendre à être compromis, même aux yeux de leurs confrères.
Une tâche de ce genre demande des prêtres absolument décidés qui se donnent à ce travail préféré du Christ sans trop d’espoir de pouvoir se reprendre jamais.
Nous sommes prêts, nous Action catholique ouvrière, à faire une trouée dans ce prolétariat. Serez vous prêts, vous évêques, pour accueillir dans la chrétienté et pour les garder, les néophytes que nous vous amèneront ? Toute cette étude répond : non ; l’Eglise de France n’a pas été prête pour l’après demain ; elle n’a pas eu les institutions et peut-être l’esprit nécessaire
3

C’est suite à cette interpellation que le cardinal Suhard fonde en 1944 la "Mission de Paris", avec pour objectif de préparer des prêtres, non pas au travail - il n’en est pas encore question - mais à l’évangélisation, hors des structures paroissiales, des secteurs ouvriers déchristianisés.
Le dernier pas est franchi lorsque, constatant l’insuffisance de telles initiatives, le cardinal Suhard donne à quelques prêtres qui le lui demandent instamment, l’autorisation de travailler, mais seulement pour un mois ou deux4.
Voyant que les demandes se multiplient, le cardinal réplique à ceux qui manifestent des réserves : « S’ils ont tous demandé cela en même temps, il ne faudrait pas contrarier l’Esprit Saint5. ».

C’est sous l’impulsion de sa lettre pastorale : "Essor ou déclin de l’Église" en 1947 que plusieurs prêtres de la Mission de France et de la Mission de Paris, quelques religieux, puis des prêtres diocésains, deviennent prêtres-ouvriers à plein temps6.
Ils travaillent en usine7 pour y assurer la présence du Christ et de son Eglise, et pour partager la vie de la classe ouvrière avec ses espoirs et ses luttes.
Que de joies intenses dans le cœur de ces prêtres qui, généreusement, prennent le risque de vivre aux frontières de l’Eglise pour que le monde ouvrier découvre le Christ, et puise dans l’Evangile la reconnaissance de sa dignité !
Mais aussi que de souffrances ! D’abord, quand ils se rendent compte de la vie épuisante que mènent la plupart des ouvriers, et ensuite quand ils font l’expérience de la grandeur d’âme qu’il leur faut avoir pour témoigner du même courage qu’eux devant la pénibilité du travail, les épreuves de toutes natures et souvent la misère.

Un père dominicain8 qui vient d’être témoin de l’esprit de solidarité des ouvriers après l’accident mortel au travail d’un des leurs, s’écrie en 1950 :
« Lorsqu’on constate que, dans la souffrance même, le monde ouvrier se hausse à tant de grandeur, et lorsqu’on a expérimenté que, dans son travail, il court de si graves risques, il semble que pour tout homme, à quelque milieu qu’il appartienne, et sans que ce soit pour lui le lointain écho d’une propagande, une pensée s’impose : la classe ouvrière, qui donne largement sa vie pour la prospérité du pays, ne mérite-t-elle pas d’avoir une part plus large dans les richesses et les responsabilités des entreprises de la nation ? »

Souffrance aussi - après l’enthousiasme du début - de la désillusion, comme celle de ce prêtre-ouvrier de la banlieue parisienne qui, en 1954, nous livre ces réflexions :
« Lorsque je suis entré aux Compteurs de Montrouge, je sortais de 12 années ininterrompues de séminaire. J’allais vers la classe ouvrière avec ce que je croyais être d’indispensables richesses : culture, équilibre humain, enthousiasme etc.
Je croyais au rayonnement personnel. Je comptais beaucoup sur les contacts. J’aimais les discussions. J’espérais en imposer par mon savoir. Je voulais donner Dieu. Et, ce qui a été plus grave, je vivais et j’agissais en dissociant ma foi personnelle en Dieu, du monde où l’Eglise m’avait envoyé. Ce monde que j’ignorais.
Ce passage de deux mois aux Compteurs de Montrouge m’a fait perdre mes illusions. Quittant l’usine pour être plus disponible aux quartiers de Kremlin-Bicêtre et de Gentilly, j’en gardais la conviction vécue qu’il fallait tout perdre de ma culture, de ma mentalité, de mon comportement intérieur, pour me laisser prendre par le travail et l’espérance de la classe ouvrière…
J’apprenais là, les difficultés quotidiennes des mamans ; j’y côtoyais des foyers où l’on s’entassait à dix, dans deux petites pièces. J’y découvrais surtout, sous-jacente mais réelle, la révolte plus ou moins consciente de ces familles ouvrières contre les conditions de vie inhumaines qui leur était imposées.
Ainsi, dans la mission qui m’était confiée, une seule orientation était possible : mon sacerdoce serait leur sacerdoce, ou il ne serait pas.
Ces hommes qui m’entouraient, que je croisais dans la rue, avec lesquels je déchargeais un camion, dont j’ai partagé la vie de travail sur le marché où j’ai été monteur pendant près de deux ans, n’attendaient de moi ni conseil ni service. Ils ne pouvaient être sensibles qu’à une chose : nous avions la même vie et subissions le même destin
. »

Souffrance plus lourde encore : celle de se sentir suspectés par toute une partie de la population, surtout quand l’ouvrage de Gilbert Cesbron, "Les saints vont en enfer", qui paraît en 1952, fait connaître au grand public ces "nouveaux prêtres9" qui n’ont plus rien de commun avec le clergé paroissial ; ils sont, en effet, habillés en ouvrier, travaillent en usine, logent dans de modestes maisons ou appartements, participent aux grèves10 et s’engagent dans le combat syndical11.
Les uns leur reprochent de dénaturer le sacerdoce tel que l’avait conçu le Concile de Trente, qui faisait du prêtre un "séparé". D’autres les accusent de faire de la politique et de se laisser manipuler par les communistes ; ou encore de brader leur mission spirituelle au profit d’activités temporelles.
Même chez les militants de l’Action catholique ouvrière (A.C.O), il en est qui se demandent pourquoi des prêtres viennent prendre leur place de laïcs engagés dans l’évangélisation du monde ouvrier.
Quant aux évêques, ils sont loin d’être unanimes dans leurs réactions ; si un certain nombre d’entre eux acceptent de tenter l’expérience de prêtres au travail12, d’autres refusent par crainte de voir se constituer un clergé parallèle et peu soumis à la hiérarchie ; d’autres encore, comme Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, déclarent « que les prêtres au travail sont plus militants que soucieux d’évangélisation. Les prêtres ouvriers sont plus ouvriers que prêtres. »

Une plus grande épreuve encore attendait les prêtres-ouvriers : la décision du pape Pie XII d’arrêter l’expérience dans les plus brefs délais.
Ci-dessous le déroulement des faits :
Au début de l’année 1953, le cardinal Achille Liénart devenu président des cardinaux et archevêques de France13, se fait remettre une lettre du cardinal Ottaviani de la Congrégation du Saint Office ; celui-ci énumère un certains nombre d’attitudes qu’il considère très graves de la part des prêtres-ouvriers : leur vie spirituelle jugée trop superficielle, leur façon de célébrer, mais plus encore leur compromission avec le marxisme et la lutte des classes.

Dans sa réponse, par lettre, le cardinal Liénart lui promet d’exercer, avec ses collègues, une plus grande vigilance sur le comportement de certains prêtres-ouvriers, en lui faisant toutefois clairement entendre qu’il est hors de question de remettre en cause l’expérience :
« L’apostolat des prêtres-ouvriers, écrit-il, semble actuellement s’imposer comme une nécessité pastorale dans une région fortement industrialisée. Les masses ouvrières, vivant loin des prêtres, sont tentées de les juger d’une manière défavorable et souvent hostile. En voyant le prêtre agir au milieu d’elles, elles apprécient mieux sa vie de sacrifice, son désintéressement, sa charité, son courage.
Le prêtre-ouvrier peut assurer, mieux que les laïcs, la présence de l’Église à l’usine. C’est à l’usine, en effet, que se traitent toutes les affaires importantes de la vie sociale. C’est là que se forme la mentalité ouvrière
. »

En envoyant sa lettre, le cardinal Liénart ne se doutait pas que Rome s’apprêtait à durcir sa position d’une façon irréversible.
En effet, le 23 septembre 1953, le nonce apostolique Mgr Marella14 invoquant les mêmes motifs que ceux du cardinal Ottaviani, annonce aux évêques de France que le pape a décidé, d’une façon irrévocable, la cessation de l’expérience des prêtres-ouvriers15. Ces derniers, déclare-t-il, devront chercher une autre forme d’apostolat pour évangéliser le monde ouvrier : « C’est une décision de sa Sainteté, conclut le nonce ; quels que soient nos sentiments ; nous lui devons obéissance16. »

Consternés, car disent-il, « c’est une catastrophe pour l’Eglise de France », le cardinal Liénart et les évêques qui le soutiennent manifestent leur obéissance, mais avec la ferme intention d’aller à Rome et d’intervenir directement auprès du pape Pie XII.
Le 5 novembre 1953, les cardinaux Liénart, Feltin17 et Gerlier18 partis pour Rome au nom de l’épiscopat français, sont reçus par le pape lui-même à Castel Gandolfo19.
Après la lecture d’un rapport dans lequel les évêques s’efforcent de démontrer le bien-fondé de l’expérience des prêtres-ouvriers20, Pie XII qui l’a écouté avec beaucoup d’attention, demeure néanmoins inflexible :
« La vie d’un prêtre, répond-il, est le bien le plus précieux de l’Eglise. Elle ne peut se confondre avec la vie d’un ouvrier. Car c’est une vie de prière, d’enseignement religieux, de culte et de grâce, et non d’abord une vie de labeur manuel. Un prêtre passant le plus clair de sa vie dans un travail manuel, ce n’est pas une forme suprême du sacerdoce, mais une forme anormale.
Vous avez évoqué les dangers d’une telle vie. Ils sont trop graves pour qu’on puisse les accepter en confiance. Il n’est pas possible de continuer à y exposer des prêtres. Les prêtres-ouvriers ont certes une vie de sacrifice. Mais la vie de beaucoup de prêtres de campagne est plus dure et plus pauvre que celle des prêtres-ouvriers.
Vous avez raison de vouloir évangéliser tous les hommes éloignés de l’Eglise. Mais il faut le faire sans sacrifier pour cela le sacerdoce.
Le communisme est l’un des plus grands dangers qu’ait à affronter l’Eglise. La forme qu’il a prise en France est particulièrement redoutable. Pour cela aussi, il n’est pas possible d’exposer des prêtres21.
On dénaturerait le sacerdoce de l’Eglise en faisant du prêtre un ouvrier complet22. Je crois que deux ou trois heures par jour en usine seraient un maximum, si l’on veut sauvegarder les obligations essentielles.
L’Église de France est généreuse. Cherchez avec le Saint Office un changement réel. Je vous demande de ne plus donner mission à des prêtres-ouvriers, mais de donner mission à des prêtres du monde ouvrier
23. »

La décision romaine provoque un émoi considérable tant parmi les prêtres-ouvriers qu’au sein de toute une partie de la population française et même étrangère.
Quant aux membres de l’épiscopat français favorables à l’expérience des prêtres au travail, ils s’écrient par la voix du cardinal Liénart :
« Il ne fait aucun doute que l’opinion publique, dans son ensemble, conclura que l’Eglise abandonne le monde des travailleurs. »

Passée leur première réaction, les évêques français réexaminent de près la réponse du pape, et tout particulièrement sa finale. Puis très rapidement, dès le 15 novembre 1953, ils transmettent aux prêtres-ouvriers ce nouveau projet qui se veut dans la ligne des orientations pontificales :
« Après dix ans d’existence, l’expérience des prêtres-ouvriers telle qu’elle a évolué jusqu’à ce jour ne peut être maintenue dans sa forme actuelle. Mais soucieuse de garder le contact qui a été établi entre elle et le monde ouvrier par les pionniers de cet apostolat, l’Église envisage volontiers que les prêtres ayant donné les preuves de qualités suffisantes, maintiennent un apostolat sacerdotal en plein monde ouvrier. Mais elle demande cinq conditions :
  • qu’ils soient choisis spécialement par leur évêque.
  • qu’ils reçoivent une formation adaptée et solide.
  • qu’ils ne s’adonnent au travail manuel que pendant un temps limité afin que soit sauvegardée la faculté pour eux de répondre à toutes les exigences de leur état sacerdotal.
  • qu’ils ne prennent aucun engagement temporel24.
  • qu’ils ne vivent pas isolément, mais qu’ils soient attachés à une communauté de prêtres ou une paroisse.
Des recherches vont se poursuivre, d’accord avec le Saint Siège, pour préciser les modalités d’application de ces mesures
. »

A ce projet, les évêques joignent la lettre suivante adressée personnellement à chaque prêtre-ouvrier et rédigée substantiellement en ces termes :
« Chers amis,
Nous avons senti l’angoisse qui remplissait vos cœurs…Cette angoisse nous la partageons pleinement…
Cependant, avec notre Saint Père le pape, nous sommes responsables de votre sacerdoce. Il nous appartient, après avoir pesé les conséquences de nos décisions, de vous demander ce qui est nécessaire…
Nous sommes décidés à envoyer des prêtres plus nombreux dans le monde ouvrier. Nous serions désireux que vous soyez les premiers à vous consacrer, sous une forme nouvelle, à l’évangélisation des ouvriers…qui vous connaissent et qui vous aiment… Par vous, le monde ouvrier a mieux compris que l’Eglise l’aimait…
Pour le Saint Père, "le temps limité", signifie un temps "ne dépassant pas trois heures par jour"…
Nous vous demandons, avant le 1er mars, de donner votre démission de toutes les charges temporelles auxquelles vous avait appelés la confiance de vos camarades. De même, vous voudrez bien, à partir de maintenant, ne pas renouveler votre inscription au syndicat auquel vous apparteniez…
En vous parlant ainsi, nous sentons à quel point vous devez éprouver un déchirement de tout votre être, à cause de votre amour pour vos frères ouvriers… C’est à votre esprit de foi que nous faisons appel… Votre foi vous entraîne à la soumission…
Vous vous trouvez dans cette alternative : ou vous fier à votre jugement propre et refuser l’obéissance au Christ, ou bien croire au Christ de toute votre âme, quand bien même votre vie vous semblerait brisée ou vos frères ouvriers abandonnés. Le sacrifice que nous vous demandons sera source de grâce pour ces masses laborieuses en faveur de qui vous l’offrirez. Nous n’osons pas envisager ce qui arriverait si vous refusiez de vous soumettre !..
Ne croyez pas ceux qui vous disent que ce sont là des questions politiques. Devant Dieu qui les jugera, vos évêques vous affirment qu’il ne s’agit pas de politique mais de religion…
Ne croyez pas ceux qui vous disent qu’on peut rester dans l’Eglise en état de "résistance passive". Celui qui ne se soumettrait pas serait privé de toute mission. Si par malheur, vous demandiez votre réduction à l’état laïc, cette réduction ne vous serait pas accordée.
L’histoire de l’Eglise nous apprend que jamais quelqu’un qui s’est révolté contre elle n’a reçu dans l’avenir de mission d’Eglise… Ne vous laissez pas trop émouvoir si l’un ou l’autre d’entre vous venait à défaillir… Pensez à votre responsabilité d’ensemble
. »

On comprend que pour les prêtres-ouvriers sommés25 de renoncer - au plus tard le 1er mars 1954 - au travail professionnel dans lequel ils s’étaient totalement investis, c’est le drame ; un véritable drame de conscience, car ils sont mis en demeure de choisir entre deux fidélités : la fidélité à l’Eglise ou la fidélité aux engagements pris à l’égard de la classe ouvrière26.
Sur la centaine de prêtres-ouvriers, soixante environ décident, non sans un profond déchirement, de continuer le travail, jugeant que l’Eglise se doit de partager la condition ouvrière.

C’est encore le cardinal Liénart qui sensibilise les autorités romaines à ce drame :
« Veuillez me croire, Eminence, le drame de conscience est profond de ceux qui se trouvent comme moi, sommés d’obéir comme de simples exécutants, à des ordres qui ne peuvent manquer de jeter le trouble dans l’esprit du clergé et des militants, et d’entraver nos efforts pour porter le salut…
La déchristianisation de nos baptisés se fait à l’usine, elle est de plus en plus générale et profonde, voila la réalité…
Quand l’évêque envoie des missionnaires pour gagner à Jésus Christ des peuples païens, l’Eglise ne leur dit pas de rester sur le bateau qui les amène et de n’envoyer à terre que des laïcs dont ils soutiendraient l’apostolat : elle débarque ses prêtres à leurs risques et périls en plein cœur du pays…
Il s’agit de tout autre chose que de demander aux évêques et aux prêtres de la Mission ouvrière un acte de renoncement. Il s’agit, laissez-moi vous le dire, Eminence, du fond de mon âme, de ne pas abandonner le monde des pauvres et des petits et de leur manifester, au contraire, la sollicitude de l’Eglise pour lui et son salut
27. »

Dans l’immédiat, conformément au projet du 15 novembre 1954, l’épiscopat entreprend la création de "Secteurs de Mission ouvrière", c’est à dire d’organismes destinés à coordonner tous les acteurs chargés d’évangéliser le monde ouvrier dans un secteur déterminé, à savoir, tout à la fois : le clergé paroissial, les militants de la J.O.C et de l’A.C.O, les religieux et religieuses, ainsi que les prêtres au travail, puisque Rome leur permet trois heures par jour en usine.
Comme on vient de le voir, il faut attendre le Concile Vatican II pour que le pape Paul VI, en 1965, - suite au Décret "Vie et Ministère des prêtres" - autorise l’épiscopat français à recourir, à nouveau au ministère de prêtres au travail non seulement comme ouvriers, mais aussi comme employés, cadres, chercheurs, navigants, etc.

Le Décret sur le ministère et la vie des prêtres sera voté par 2390 voix contre 4 et promulgué par le pape le 7 décembre 1965.

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1 Implantée, en 1943, dans trois diocèses (Paris, Sens et Evreux), la "Mission de France" rassemble des prêtres séculiers (groupés en communautés), pour annoncer l’Evangile aux populations éloignées de l’Eglise. Ses membres sont formés dans un séminaire spécial : "le Séminaire de la Mission de France" situé à Lisieux, en mémoire de sainte Thérèse, patronne des missions.
2 L’ouvrage est tiré à 100 000 exemplaires.
3 "France, pays de mission ?"
4 L’idée de prêtres au travail n’est pas nouvelle. Déjà, au début du XXème siècle, des prêtres appelés "abbés démocrates" (comme l’abbé Lemire) avaient songé à cette forme de ministère. En 1939, un prêtre parisien et en 1942, un prêtre liégeois avaient reçu de leur évêque l’autorisation de travailler en usine.
5 Dès l’année 1942, des prêtres et des séminaristes s’étaient joints, à l’insu des allemands, aux jeunes envoyés en Allemagne dans le cadre du "Service du Travail Obligatoire" (S.T.O) et avaient gardé la nostalgie de leur vie d’ouvriers au milieu de leurs compagnons.
6 Dans le Nord, c’est à Hellemmes, dans une vielle maison, qu’est fondée la première communauté de prêtres-ouvriers (trois puis quatre dominicains) ; une seconde, formée de prêtres diocésains s’implante à Roubaix, dans la fameuse rue des Longues Haies.
7 Ou en mer, comme prêtres navigants.
8 Le Père Screpel appartenant à la communauté des prêtres-ouvriers d’Hellemmes.
9 En 1952 le nombre des prêtres ouvriers ne dépasse pas la centaine.
10 En mai 1942 deux prêtres sont arrêtés lors d’une grève par la police.
11 La majorité des prêtres ouvriers adhèrent, comme la plupart des ouvriers, à la C.G.T.
12 C’est le cas dans les diocèses de Paris, Lille, Toulouse, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Bordeaux, Le Havre.
13 Depuis la mort du cardinal Suhard, en 1949.
14 Qui remplace Mgr Roncalli, que Pie XII trouvait sans doute trop accommodant !
15 En 1959, ce sera au tour des prêtres marins d’être condamnés par le Vatican.
16 L’épiscopat français reçoit également l’ordre de fermer le "Séminaire de la Mission de France".
17 Archevêque de Paris.
18 Archevêque de Lyon.
19 Petite localité située à 20 km au sud-est de Rome, Castel Gandolfo est depuis le XVIIème siècle la résidence d’été des papes.
20 Sans nier cependant les dangers et parfois les dérives de l’expérience.
20 Pie XII craint que les prêtres-ouvriers ne soient pas suffisamment armés sur le plan doctrinal pour résister au marxisme.
22 Pie XII estime que le prêtre-ouvrier se laïcise et ne sauvegarde plus l’intégrité du sacerdoce tel que l’a conçu le Concile de Trente.
23 Cependant, Pie XII ne met pas un terme à la "Mission de France". Bien au contraire : il lui donne le statut de prélature (c’est-à-dire de diocèse sans territoire) avec un prélat (évêque) à sa tête. A la mort du cardinal Suhard, en 1954, le cardinal Liénart est le premier prélat de la Mission de France. Aujourd’hui, la Mission de France dont Mgr Yves Patenôtre est le prélat, rassemble près de 500 prêtres, diacres et laïcs qui sont encore implantés dans les secteurs les plus déchristianisés.
24 Syndical ou politique.
25 La lettre des évêques, malgré toute sa compassion, parle, en effet, à trois reprises de "soumission".
26 D’autant que beaucoup de prêtres-ouvriers avaient pris des responsabilités syndicales et certains, politiques.
27 Lettre au cardinal Pizzardo, secrétaire du Saint Office.

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