mardi 8 juillet 2014

Jean Calvin (1509-1564)

L’organisateur de la Réforme

Français1, Jean Calvin est né à l’ombre de la cathédrale de Noyon en Picardie, un quart de siècle après Luther. Il est le fils d’un administrateur qui gère les affaires de l’évêque de Noyon et des chanoines de la cathédrale. Sa mère, très pieuse, meurt prématurément en 1515, laissant derrière elle Jean et ses trois frères.
Son père le destinait à la prêtrise mais lorsqu’il entre en conflit avec les chanoines il oriente son fils vers le droit.
Grâce à un « bénéfice ecclésiastique » il fait ses études à Noyon puis à Paris au collège Montaigu où, pendant cinq années, il découvre les œuvres des auteurs grecs et latins et celles des Pères de l’Église2. C’est là aussi qu’il entre en contact avec les idées des humanistes et celles de Luther.
On le retrouve ensuite à Orléans et à Bourges où il étudie le droit, puis de nouveau à Paris.
Quand et pourquoi Calvin adhère-t-il à la Réforme ? Il est difficile de le dire avec précision3.
Ses options réformistes apparaissent clairement en1533, lorsqu’il participe à Paris à la rédaction d’un discours universitaire d’inspiration luthérienne.
En 1534 Calvin signifie son éloignement de l’Église catholique en résiliant son bénéfice ecclésiastique. La même année, quand éclate l’« Affaire des placards » dirigée contre la messe romaine, il est soupçonné d’être mêlé à l’opération et se voit contraint de quitter le territoire4.

Calvin se réfugie alors à Bâle5. Là, après avoir approfondi sa formation théologique, il rédige (en latin) la première version de l’Institution de la religion chrétienne6 qu’il publie en 1536. Cet ouvrage contient l’essentiel de ses idées sur la loi, la foi, la prédication, les sacrements et les rapports entre les chrétiens et l’autorité civile. Il le dédie à François 1er7  :

« Quelle chose convient mieux à la foi que de nous reconnaître nus de toute vertu, pour être vêtus de Dieu ? Vides de tout bien pour être emplis de Lui ? Serfs du péché, pour être délivrés de Lui ? Aveugles, pour être de Lui illuminés ? Boiteux, pour être de Lui redressés ? Débiles, pour être de Lui soutenus ? De nous ôter toute manière de gloire, afin que lui seul soit glorifié, et nous en Lui ?...
Un roi qui n’obéit pas à Dieu et ne cherche pas avant tout la gloire de Dieu, n’exerce pas une autorité légitime, mais un brigandage8. »

Dans cet ouvrage qui va donner un nouveau souffle à la Réforme, il rompt officiellement avec l’Église romaine :

« Le service de Dieu est défiguré par diverses formes de superstitions… (puisque) la doctrine sans laquelle la chrétienté ne peut consister y est ensevelie ou rejetée… (puisque) les assemblées publiques sont écoles d’idolâtrie et d’impiété… il ne faut point craindre… le divorce avec l’Église de Dieu »

Lorsque Calvin est de passage à Genève, Guillaume Farel9 qui - par ses sermons enflammés, a décidé le Conseil de la ville à adhérer au protestantisme - fait appel à lui pour organiser la Réforme.

Là, Calvin rédige une Confession de foi et des articles sur le gouvernement de l’Église locale. Mais les genevois regimbent vigoureusement devant la nouvelle Confession de foi et le mode de vie qui leur est imposé.
Obligé de quitter Genève en 1538, Calvin se rend à Strasbourg10 où il rencontre Martin Bucer11 qui lui confie les fonctions de pasteur12 et de professeur de théologie.
Durant les trois années qu’il passe à Strasbourg - des années qu’il considère comme les plus belles années de sa vie - il publie successivement son Commentaire sur l’épître aux romains, son Petit traité sur la Cène et fait paraître la première édition en français de l’Institution de la religion chrétienne.
C’est également durant son séjour à Strasbourg qu’il épouse une veuve de pasteur, Idelette de Bure13, qui lui donnera deux enfants qui mourront tous deux en bas âge. Dès la première version de l’Institution de la religion chrétienne en 1536 Calvin avait plaidé énergiquement en faveur du mariage des pasteurs.

En 1541, Genève le rappelle instamment. Calvin y retourne à contrecœur et moyennant deux conditions :

« Je ne voulus jamais accepter le ministère, qu’ils ne m’eussent juré ces deux points, à savoir de tenir le catéchisme et la discipline. »

En se rendant à Genève, Calvin a la ferme intention de n’y rester que six mois, le temps d’organiser la réforme de l’Église genevoise. En fait, il y demeurera jusqu’à sa mort, avec la conviction qu’il est, comme les prophètes, envoyé par Dieu pour être son porte parole.
Que fait-il pendant 23 ans ?
Tout d’abord, il prend une part décisive à la rédaction d’Ordonnances ecclésiastiques qui vont doter l’Église genevoise d’institutions affranchies de la tutelle du pouvoir civil mais qui sont toujours prises en accord avec celui-ci14.
L’objectif de ces Ordonnances est d’encadrer la vie des croyants dans l’Église et dans la cité selon les prescriptions de l’Écriture. Elles traitent de tous les aspects de la vie courante : assistance au culte, mœurs, distractions, sorties nocturnes, vêtements.
A titre d’exemple, voici quelques extraits des Ordonnances ecclésiastiques de Genève datées de 1541 :

« On vous fait savoir :
  • que chacun est tenu de venir le dimanche ouïr la Parole de Dieu.
  • que nul ne doit jurer ni blasphémer le nom de Dieu et ce sur la peine, la première fois, de baiser terre ; la seconde fois de baiser terre et de donner trois sous et la tierce, d’être mis en prison trois jours.
  • que personne n’ait à jouer à or ni argent.
  • que personne n’ait à aller par la ville passée neuf heures sans chandelle, sous peine d’être mis en prison 24 heures.
  • que personne n’ait à danser, sinon aux noces, ni à chanter chansons déshonnêtes, ni se déguiser… et ce sur la peine de 60 sous, et d’être mis en prison trois jours au pain et à l’eau.
  • que chacun soit tenu de révéler à messieurs ceux ou celles qu’il aura trouvés délinquants aux articles susdits »

Elles ont également pour but de définir les diverses tâches à accomplir dans l’Église et de préciser les quatre types de ministres qui en auront la responsabilité, à savoir les Pasteurs, les Docteurs, les Diacres et les Anciens.
Elles prévoient également la Création d’un Consistoire composé de pasteurs et d’anciens ; il est chargé de surveiller dans l’Église la doctrine et les mœurs, et de faire réprimer toutes déviations par le pouvoir civil15.
Les sanctions peuvent aller jusqu’à la peine de mort.
C’est le cas pour le médecin Michel Servet16 qui dans son ouvrage
De Trinitatis erroribus (Des erreurs de la Trinité) remet en question le mystère de la Trinité en niant la divinité du Christ.
Tandis que Calvin, indirectement, le menace de mort s’il revient à Genève :
« Servet m’a écrit récemment et il a joint à ses lettres un long volume rempli de ses délires et accompagné de sa jactance fanfaronne, en m’annonçant que j’allais voir des choses étonnantes et jusqu’ici inouïes.
Si la chose me plaît, il déclare qu’il viendra jusqu’ici. Mais je ne veux pas lui donner ma parole, car s’il vient, pourvu que mon autorité ait quelque force, je ne souffrirai pas qu’il s’en aille en vie17 »
,

Servet passe outre l’ordre de Calvin et revient à Genève. Il est alors condamné à mort en 155318. Sur le bûcher, il a fixé ses écrits à sa jambe et prononce ces derniers mots : « Jésus, Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi.»
De nombreux protestants réagiront avec véhémence contre cette condamnation de Michel Servet commanditée par Calvin. Ils estiment que cette manière violente ne peut pas servir à la conversion des hérétiques.
L’un d’eux, Sébastien Castellion19, fera à Calvin cette réflexion qui deviendra célèbre :
« Tuer un hérétique, ce n’est pas supprimer une hérésie, c’est tuer un homme. »

En ce qui concerne le culte, Calvin remplace la messe romaine par la Cène. Elle est célébrée sous les deux espèces mais, contrairement aux vœux de Calvin, elle n’est fixée qu’à Noël, Pâques, la Pentecôte et au premier dimanche de septembre.
Toute la liturgie que Calcin écrit entièrement lui-même, doit être, dit-il, « en langue commune et connue du peuple », c'est-à-dire en français.
Il réserve une très grande place à la prédication : le dimanche, il fait deux sermons et, les autres jours, il prêche quotidiennement une semaine sur deux, en suivant un par un les Livres de la Bible. A la fin de sa vie, ne pouvant plus quitter son lit, Calvin se fait transporter jusqu’à la chaire de la cathédrale
saint Pierre pour continuer sa mission de prédicateur.
Il donne une grande importance aux chants des psaumes traduits en vers par le poète Clément Marot.
Dans les églises, Calvin part en guerre contre toutes les statues et les tableaux qui s’y trouvent :

« Sitôt qu’il y a des images dans un temple, écrit-il dans l’Institution de la religion chrétienne, c’est comme une bannière pour attirer les hommes à idolâtrer »

A une époque où l’on présente et vénère le Christ et toutes sortes de saints somptueusement vêtus, Calvin livre cet avertissement :

« Le premier vice, racine du mal, a été de ne pas chercher Jésus Christ en sa Parole, en ses sacrements et ses grâces spirituelles. Le monde, selon sa coutume, s’est amusé à ses robes, chemises et drapeaux et, ce faisant, a laissé le principal pour suivre l’accessoire. »
Préoccupé de donner aux chrétiens une solide formation religieuse, Calvin publie des commentaires sur la Bible et compose, en 1542, un catéchisme avec questions et réponses.
C’est animé de la même préoccupation de formation chrétienne que Calvin fonde, en 1559, une Académie de théologie en vue, principalement, de préparer les futurs pasteurs à leur ministère20. Théodore de Bèze en sera le premier recteur21.
Dans cette académie de Genève viendront se former une pépinière de pasteurs qui sillonneront l’Europe et en particulier la France22. C’est par eux que le calvinisme s’implantera durablement sur le territoire français.
A cinq d’entre eux qui vont être exécutés à Lyon en raison de leur prosélytisme, Calvin envoie cette lettre :

« Vous savez qu’en partant de ce monde, nous n’allons pas à l’aventure, non seulement pour la certitude que vous avez qu’il y a une vie céleste, mais aussi pour ce qu’étant assurés de l’adoption gratuite de notre Dieu, vous y allez comme à votre héritage.
Ce que Dieu vous a ordonné, martyrs de son Fils, vous êtes comme une marque de surabondance… et puisque le Seigneur emploie votre vie à une cause si digne qu’est le témoignage de l’évangile, ne doutez pas qu’elle ne lui soit précieuse. »

Calvin exhorte constamment ses fidèles à exercer leurs responsabilités de citoyens dans tous les domaines : religieux mais aussi politique, économique, éthique et social. C’est dans la mesure, dit-il, où, sous la mouvance de l’Esprit Saint, ils exercent leurs responsabilités de chrétiens dans la société qu’ils parviendront à mener la création à son terme.
De fait, les pasteurs ne se préoccupent pas seulement de la vie spirituelle de leurs fidèles, mais de la prospérité économique du pays23, de la justice dans la répartition des richesses et de la vie des pauvres et des chômeurs.
Au niveau social, Calvin lui-même a exercé une action importante. Lors d’une épidémie de peste à Genève, il exige que tout un village soit réservé aux pestiférés et qu’un pasteur soit désigné pour assister les mourants.
Lorsque de nombreux protestants sont chassés de leur pays (principalement de la France) et viennent se réfugier à Genève (ils seront plus de 20.000 en 1550), il demande aux genevois de construire un étage supplémentaire dans leur maison pour pouvoir les héberger.
A partir de 1554, Calvin ayant désormais une autorité solidement établie, consacre alors toute son énergie à faire de Genève une « Cité de Dieu24 » où: magistrats et ministres de l’Église, chacun dans son domaine propre25, veille à ce que la doctrine soit prêchée et que le comportement de tous soit conforme aux prescriptions de l’Écriture.
Lorsque Calvin, épuisé par l’énergie dépensée et par une santé précaire, meurt à l’âge de 55 ans26, il a fait de Genève, la ville qu’on appellera la « Rome protestante ».
A la veille de la mort de Calvin, Théodore de Bèze recueille de ses lèvres ces quelques mots :

« J’ai eu beaucoup d’infirmités… mon intention était bonne et mes vices m’ont toujours déplu ; la racine de la crainte de Dieu a toujours été en mon cœur. Vous pouvez dire cela que l’affection a été bonne et je vous prie que le mal me soit pardonné, mais que s’il y a eu du bien, que vous vous y conformiez et l’ensuiviez. »
____
1 Se considérant comme profondément français, Calvin ne reçoit la citoyenneté genevoise que très peu de temps avant sa mort.
2 En particulier saint Augustin.
3 L’excommunication de son père et le refus du clergé de l’enterrer religieusement ont sans doute dû jouer dans son attitude à l’égard de l’Église catholique. On sait aussi qu’à Paris, Calvin a rencontré des partisans de Luther.
4 Lorsque des pamphlets exprimant des idées protestantes et tournant en dérision la messe romaine sont « placardés » jusque dans le château d’Amboise où réside le roi François 1er celui-ci, craignant la division du pays et un schisme avec Rome, déclenche une répression systématique contre les protestants.
5 Bâle est en rupture avec Rome depuis l’année 1529.
6 Car il ne cessera de l’approfondir au fil des années. Six éditions successives compléteront la première version.
7 Qui, au début de son règne, était très ouvert aux idées de la Réforme.
8 Epître au Très chrétien roi de France.
9 Originaire de Gap, Guillaume Farel (1489-1565), après avoir adhéré, comme Lefebvre d’Etaples à l’Évangélisme, se convertit au protestantisme et se rend en Suisse romande pour l’amener à la Réforme.
10 Dès 1519, les thèses de Luther ont été affichées aux portes de la cathédrale de Strasbourg.
11 Martin Bucer (1491-1551) est un ancien dominicain qui, après être passé au luthéranisme, gagne Strasbourg où il sera le grand artisan de la Réforme. Esprit conciliant (de trop pour Luther et Calvin !) il tentera d'unifier les Églises réformées.
12 De la paroisse française constituée de protestants chassés de France.
13 Durant les neuf années d’un mariage fondé sur l’estime mutuelle, Idelette secondera Calvin d’une façon admirable. Lui-même sera profondément affecté par sa mort.
14 Il n’est pas question, en effet, de séparation de l’Église et de l’État.
15 Les sentences prononcées par le consistoire doivent recevoir l’approbation des magistrats et ne sont exécutées que sur leur ordre, par le bras séculier.
16 Michel Servet (1511-1553) théologien et médecin d’origine espagnole affirmait que « Jésus Christ n’était pas le Fils éternel de Dieu mais le Fils du Dieu (lui seul) éternel. »
17 Lettre de Calvin à Guillaume Farel.
18 Durant le ministère de Calvin à Genève 58 condamnations à mort et 84 bannissements sont prononcés.
19 Sébastien Castellion (1515-1563) : humaniste et théologien français. Après avoir adhéré à la réforme, il se rend auprès de Calvin qui lui confie la direction d’un collège.
Peu à peu, en raison de divergences concernant la théologie, son amitié pour Calvin se dégrade et fait place à une franche hostilité.
20 Dès sa fondation, l’Académie reçoit l’assistance d’universitaires et d’intellectuels français.
21 Originaire de Vézelay, Théodore de Bèze (1519-1605) adhère à la réforme en 1548. Il sera le premier successeur de Calvin à Genève.
22 A la mort de Calvin, l’Académie rassemble plus de 300 étudiants venus de toute l’Europe.
23 A titre d’exemple, les pasteurs demandent aux réfugiés de développer l’industrie du tissage. Ils s’occupent également de politique salariale en exigeant que les patrons rétribuent convenablement leurs employés.
24 Une Cité de Dieu qui, dit Calvin, doit servir de modèle pour l’humanité.
25 Calvin ne veut ni limiter le pouvoir civil, ni soumettre l’Église à l’Etat, mais instaurer un dialogue et un équilibre entre les deux.
26 Pour, qu’après sa mort, il ne devienne pas l’objet d’un culte, Calvin exige d’être enterré dans la fosse commune.

Ulrich Zwingli (1484-1531)

Le réformateur de Zurich

Ulrich Zwingli est né en Suisse, à Wildhaus, dans le canton de Saint Gall1. Il appartient à une famille nombreuse d’origine paysanne.
Après une première formation reçue de son oncle prêtre, il fait de solides études humanistes à Bâle, à Berne et à Vienne.
En 1506, il est ordonné prêtre par l’évêque de Constance puis nommé curé dans un village de campagne où il exerce durant dix années, ce qui lui permet d’approfondir sa formation biblique d’autant que durant cette période il rencontre Érasme qui vient de publier une nouvelle traduction du Nouveau Testament.
Après avoir été successivement chapelain dans une abbaye puis aumônier militaire des Suisses à la solde du pape2, il est nommé, en 1518, curé de la principale église de Zurich. Là, il prêche sur la Bible en la commentant page après page.
C’est à Zurich qu’il semble avoir subi l’influence de Luther, bien qu’il s’en défende :
« Qui donc m’a suggéré, écrit-il en 1523, la prédication et l’exposé suivi de tout un évangile ? Est-ce Luther ?
Pourtant j’ai commencé cette prédication avant même d’avoir entendu parler de lui et voici dix ans que je me suis mis à l’étude du grec pour m’initier à la source même du Christ.
Ce n’est pas Luther qui m’a donné cette idée, puisque son nom m’était encore inconnu après que j’eusse choisi l’Écriture comme source unique…
Je ne veux plus porter le nom de Luther, car intentionnellement, j’ai très peu lu de sa doctrine…
Ce que j’ai lu de lui… ce sont des choses courantes trouvées dans la Parole de Dieu et fondées sur elle.»
Il reconnaît cependant en Luther celui qu’il appelle :
« le David qui a mis à mort le sanglier romain »
Comme Luther, il affirme que l’Ecriture est le seul fondement pour la doctrine et la vie de l’Eglise ; et comme lui, il oppose la Parole de Dieu à tout ce qu’il estime n’être que traditions humaines : le sacerdoce ministériel, le célibat ecclésiastique, les vœux monastiques, la confession… etc.
Avec de telles prises de position, il ne tarde pas à entrer en conflit avec l’évêque de Constance dont il dépend ; surtout au moment où il lui demande instamment d’autoriser les prêtres à se marier3.

Pour préciser ses conceptions sur la réforme de l’Église, il rédige en 1523 67 thèses qu’il soumet à une assemblée de notables et d’ecclésiastiques de la ville de Zurich.
Soutenu par la majorité des membres de cette assemblée, il décide d’entreprendre la réforme de l’Église zurichoise et rompt avec Rome.
En 1525, après avoir publié son Commentaire sur la vraie et fausse religion, il qualifie d’idolâtrique le sacrifice de la messe.
Au même moment, il abolit la messe dominicale4 et la remplace par un culte consistant essentiellement en l’écoute de la Parole de Dieu suivie d’une prédication. Très dépouillé, ce culte ne compte ni chants, ni musique, ni invocation des saints, ni vénération des images5.
L’année 1529, au cours d’une rencontre avec Luther à Marbourg6, il lui fait part de son désaccord concernant la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, celle-ci n’ayant à ses yeux qu’une signification symbolique.
Zwingli se démarque également de Luther par le caractère politique et social qu’il donne à sa réforme. Voulant lier la réforme de l’Église zurichoise à l’accord des autorités civiles, il déclare que le pouvoir civil doit être confessionnel et, à ce titre, s’occuper des affaires de l’Église, en veillant tout spécialement à l’intégrité des personnes. Réciproquement, si les membres de l’autorité civile ne sont pas fidèles à l’évangile, les responsables de l’Église se doivent de les destituer.

Pour Zwingli, cette symbiose entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel est la condition nécessaire pour que tout le peuple se christianise.
C’est d’ailleurs avec le concours des autorités civiles de Zurich que Zwingli parvient à séculariser les couvents et à affecter leurs biens aux écoles, à l’assistance publique ou à d’autres institutions sociales, qu’il parvient également à créer un tribunal des mœurs pour assainir la moralité de la population.
Une des initiatives les plus originales de Zwingli est la « Prophétie » : conscient de sa mission de prophète, il apprend aux chrétiens à lire les événements et à les interpréter à la lumière de la Parole de Dieu.
Ces « prophéties » qui ont lieu chaque jour en début de matinée, comprennent une lecture biblique puis un commentaire en lien avec la vie quotidienne.

Zwingli déploie aussi une énergie considérable pour amener les cantons suisses catholiques à la Réforme, mais en vain. Face à ce refus, les autorités zurichoises décident de déclarer la guerre aux cinq cantons catholiques regroupés en Confédération.

Bien que fermement opposé à cette guerre7, d’autant qu’il avait le pressentiment de la défaite8, on lui intime l’ordre d’accompagner l’armée zurichoise en tant qu’aumônier :
« Notre cause est bonne, dit-il, aux zurichois, mais elle est mal défendue. Il m’en coûtera la vie et celle d’un grand nombre d’hommes de bien, qui désireraient rendre à la religion sa simplicité primitive, et à notre patrie ses anciennes mœurs.
N’importe : Dieu n’abandonnera pas ses serviteurs ; il viendra à leur secours, lorsque vous croirez tout perdu. Ma confiance repose sur Lui seul et non sur les hommes. Je me soumets à sa volonté. »
Dès les premiers moments de la mêlée, Zwingli reçoit un coup mortel, en s’écriant les yeux tournés vers le ciel :
« qu’importe que je succombe ; ils peuvent bien tuer le corps, mais ils ne peuvent rien sur l’âme. »
On trouve sur lui une petite Bible sur laquelle il avait noté le passage qu’il avait l’intention de commenter le lendemain, dans sa prédication.
Se croyant investi d’une mission que Dieu lui avait confiée, Zwingli meurt conformément à cette prière qu’il formulait quelques années plus tôt :
« Seigneur, je suis ton vase ; façonne-moi ou brise moi à ton gré. »
La mort tragique de Zwingli ne met pas un terme à son mouvement de réforme qui sera poursuivi par le théologien Heinrich Bullinger9 (1504-1575). Il perdure encore aujourd’hui dans le canton de Zurich.
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1 Au sud du lac de Constance.
2 Il participe notamment, comme aumônier à la bataille de Marignan en 1515 durant laquelle François 1er inflige une défaite aux Suisses, alliés de l’Italie.
3 Ce qu’il fait lui-même en épousant une veuve dont il aura quatre enfants.
4 Il ne célèbre la Cène que trois ou quatre fois par an.
5 Qui sont toutes enlevées dans les églises.
6 Ville d’Allemagne sur la Lahn.
7 Ayant été plusieurs fois sur les champs de bataille, Zwingli n’a cessé de militer contre les guerres.
8 Effectivement l’armée zurichoise sera battue à Kappel, en 1531.
9 Originaire du canton suisse d’Argovie, Heinrich Bullinger s’employa à consolider le travail de Zwingli. Cependant, estimant que l’Église ne devait pas être totalement subordonnée à l’État, il créa un comité mixte composé de magistrats et de pasteurs.
Très tolérant, il fait de Zurich un lieu de liberté religieuse. Considérant que la foi est un don de Dieu et qu’à ce titre elle ne peut être ordonnée, il ne persécuta jamais personne.

Didier Érasme (1469-1536)

Le prince des humanistes1

Érasme naît à Rotterdam. Fils d’un prêtre, il le devient lui aussi2 après avoir fait ses études dans des écoles monastiques.
Au lendemain de son ordination sacerdotale, en 1492, il est nommé secrétaire de l’archevêque de Cambrai. Peu après, il continue ses études au collège de Montaigu3 à Paris où il fréquente des universitaires très critiques à l’égard des scolastiques et de la théologie spéculative.
Le séjour qu’il effectue ensuite en Angleterre où il s’initie à l’exégèse biblique, le conforte dans l’idée qu’il faut revenir à l’enseignement évangélique4.
A partir de ce moment là, Érasme se consacre presque exclusivement à l’étude de l’Écriture et centre sa pensée sur le Christ qu’il appelle « le principal éducateur de l’humanité » ; car, dit-il, le Christ révèle tout à la fois la grandeur, la dignité et la liberté de l’homme.
En 1503, dans son ouvrage Manuel du soldat chrétien où il trace les règles de vie du vrai chrétien, il écrit :

« Place devant toi le Christ comme le seul but de toute la vie… Que tu n’aimes rien, n’admires rien, n’attendes rien que le Christ ou à cause de lui. »

Mais, ajoute-il, aimer le Christ ne signifie pas pour autant se contenter de participer « dévotement » aux célébrations liturgiques. Le chrétien doit avant tout chercher à imiter le Christ et mettre en pratique son enseignement. Ses armes, dit Érasme, ne doivent être ni les sacrements ni l’Église visible, mais l’Écriture, rien que l’Écriture et ce qu’elle enseigne :

« Par "le Christ" n’entends pas un vain mot, mais rien d’autre que la charité, la simplicité, la patience, la pureté, bref tout ce que le Christ a enseigné…
Mieux vaut moins savoir et aimer davantage5

Comme les autres humanistes de la Renaissance, Érasme ne cesse de se référer à l’évangile pour critiquer l’attitude des clercs ; en particulier celle des hauts responsables de l’Église qui se comportent souvent d’une façon indigne et qui, surtout, font peser sur les fidèles des préceptes insupportables :

« Lorsque nous exerçons notre tyrannie sous un prétexte de justice et de droit, quand la religion nous sert d’occasion pour ne songer qu’au gain, quand sous l’étiquette de la défense de l’Église, nous sommes à l’affût du pouvoir, quand on prescrit comme profitables aux intérêts du Christ des choses les plus éloignées possible de la doctrine chrétienne6 », nous ne pouvons pas prétendre être des soldats chrétiens. »

En 1511, dans un autre ouvrage (le plus célèbre) qu’il intitule Eloge de la folie7 et qu’il dédie à son ami Thomas More8, il raille avec humour toutes les institutions, en particulier : les universités, les ordres religieux et les structures ecclésiastiques : papauté, épiscopat (et cardinalat9), presbytérat etc.

Dans la Paraclesis(exhortation10) qu’il publie en 1516, Érasme enseigne que le Nouveau Testament est l’expression de la philosophie du Christ :

« La pure et authentique philosophie du Christ ne se présente nulle part plus heureusement que dans le livre des évangiles et que dans les épîtres des apôtres ; si l’on philosophe pieusement, en priant plus qu’en argumentant… Si nous cherchons un idéal de vie, pourquoi trouverions-nous préférable un autre exemple que le modèle, le Christ lui-même ? »

Aujourd’hui encore, Érasme est consulté pour ses conseils pédagogiques d’avant-garde :
« Les hommes ne naissent pas hommes, dit-il, ils le deviennent »,
d’où l’importance qu’il accorde à l’éducation, afin de permettre à l’enfant de s’épanouir, de développer ses potentialités et de corriger ses mauvais penchants.
Érasme insiste aussi sur la nécessité pour l’éducateur de respecter la singularité de l’enfant, son libre-arbitre et sa forme particulière d’intelligence ; sur la nécessité également, pour son ouverture d’esprit, de le mettre en contact avec une grande variété d’auteurs, en particulier d’auteurs anciens qui ont réfléchi sur la condition humaine.
L’important est que le jeune se forge une pensée personnelle et non dictée de l’extérieur :

« Il faut donc, très tôt, écrit-il11, donner aux enfants une éducation libérale »

Vers l’année 1524, Érasme souffre particulièrement de son conflit avec Luther. Bien que les deux hommes revendiquent un retour à l’esprit des origines chrétiennes et ne reconnaissent dans l’Église qu’une seule autorité, à savoir l’Écriture, ils ne tardent pas à s’opposer violemment à propos du libre-arbitre.
Alors que Luther ne voit en l’homme qu’une nature radicalement et irrémédiablement corrompue par le péché originel et donc incapable de penser et d’agir librement, Érasme, en humaniste fondamentalement optimiste, défend la liberté de l’homme.
Certes, écrit-il, dans son Essai sur le libre-arbitre12, l’homme, depuis le péché originel, ne peut trouver seul le chemin du bien, mais la grâce qu’il reçoit de Dieu stimule sa volonté et lui permet de mener une vie juste et charitable.
S’appuyant sur l’Écriture, il enseigne qu’il y a une synergie de la grâce et de la volonté humaine : la grâce de Dieu agit sur la volonté de l’homme afin que celui-ci soit enclin à faire le bien :

« La grâce est comme la force de la volonté qui permet à l’homme de s’employer à ce qui conduit au salut13. »

Bien que certains aient vu en lui un précurseur de la Réforme, Érasme ne cherchera jamais à créer un schisme à l’intérieur de l’Église et ne rompra pas avec Rome14 . Quand Luther, en 1519, sollicite son adhésion à la Réforme, Érasme lui fait cette réponse :

« Je n’ai jamais fait défection à l’Église catholique. Il n’a jamais été dans mes intentions d’accorder une valeur à ton Église, si bien que, homme très infortuné à de multiples égards, je m’estime du moins heureux à ce titre que je me suis constamment tenu éloigné de votre faction.
Je sais que dans cette Église que vous appelez papiste, il y a beaucoup d’hommes qui ne me plaisent pas, mais j’en vois de semblables dans la tienne. Or on supporte plus légèrement les maux auxquels on s’est accoutumé.
Je supporte donc cette Église jusqu’à ce que j’en trouve une meilleure, et elle-même est obligée de me supporter jusqu’à ce que je devienne meilleur. »

Épistolier infatigable, il envoie des lettres à tout ce que l’Europe compte de dignitaires ecclésiastiques, de princes et d’érudits renommés15.
Épuisé par l’ampleur de son travail intellectuel et profondément meurtri par les railleries de Luther à son égard, Érasme meurt à Bâle en 1536.

____
1 C’est ainsi qu’on a coutume de l’appeler car il est l’humaniste le plus représentatif de la Renaissance.
2 Mais il ne semble pas avoir exercé son ministère sacerdotal.
3 Célèbre école parisienne connue pour le sérieux des études et pour le régime monastique qu’elle imposait à ses élèves.
4 Ce qu’Érasme appelle « la philosophie du Christ ».
5 Manuel du soldat chrétien.
6 Lettre.
7 La folie de tous ceux qui déclenchent inconsidérément des guerres meurtrières, qui ne cherchent que le gain ou qui ne briguent que les honneurs.
8 Qu’il a rencontré lors de son séjour en Angleterre.
9 Quand le pape Paul III lui propose le cardinalat, Érasme refuse.
10 La Paraclesis est une préface au Nouveau Testament. Conscient que la Vulgate (la traduction latine de la Bible par saint Jérôme) comportait des erreurs, Érasme, à partir de six manuscrits grecs, publie une nouvelle traduction latine du Nouveau Testament.
11 Dans son livre La civilité puérile.
12 Auquel Luther, un an plus tard, répond par son livre intitulé Du serf- arbitre.
13 Diatribe sur le libre-arbitre (1524).
14 Le pape Paul IV mettra cependant ses œuvres à l’Index.
15 Érasme a plus de 600 correspondants à travers l’Europe.

lundi 7 juillet 2014

En France, l'évangélisme

En France se développe également un mouvement de réforme tout à fait original qu’on a coutume d’appeler l’Évangélisme.
C’est la rencontre de deux hommes : Jacques Lefebvre d’Etaples (1450-1538), un prêtre spécialiste des langues anciennes qui se passionne pour la Bible, et de Guillaume Briçonnet (1472-1534), évêque de Meaux, qui est à l’origine de ce mouvement.
Tous les deux créent un groupe appelé le Cénacle de Meaux avec pour objectif de réformer l’Église en mettant le clergé et les fidèles directement en contact avec l’Écriture, l’Écriture à l’état pur, en vue de libérer les chrétiens de toutes les traditions venues l’« encombrer » au cours des siècles et de leur faire retrouver l’esprit de l’Église primitive.
Très rapidement, sous leur impulsion, clercs et laïcs désireux d’opérer une conversion intérieure se réunissent pour méditer le Nouveau Testament - que Lefebvre d’Etaples, à leur intention, a traduit en langue française - et s’efforcent de rétablir une Église animée par la ferveur et la simplicité des premières communautés chrétiennes.
L’Évangélisme a surtout atteint les villes de la vallée de la Seine et de la Loire, ainsi que celles du sud-ouest et de la Côte d’Or.
Les Évangélistes deviennent suspects quand les thèses de Luther commencent à s’infiltrer en France1. Très vite, ils sont accusés - injustement2 - de propager la réforme luthérienne.
Le roi François 1er (1515-1547) finira par mettre un terme à l’expansion de l’Évangélisme3 lorsque des réformateurs proches de Zwingli affichent au château d’Amboise4 et dans plusieurs villes des « Placards » critiquant ouvertement la messe telle que la célèbre l’Église romaine5 :
« … Secondement en cette malheureuse messe, on a provoqué par l’univers et le monde à l’idolâtrie publique quand faussement on a donné à entendre que sous les espèces du pain et du vin, Jésus Christ, corporellement, réellement est de fait entièrement et personnellement en chair et en os, aussi grand et aussi parfait comme s’il était vivant, contenu et caché.
Ce que la Sainte Écriture et notre foi ne nous enseignent pas… car Jésus Christ après sa résurrection est monté au ciel, assis à la dextre de Dieu le Père tout puissant et de là viendra juger les vifs et les morts ; Saint Paul aux Colossiens,3, écrit ainsi…
Tiercement, ces pauvres sacrificateurs pour adjouter erreur sur erreur ont, en leur frénésie, dit et enseigné, après avoir soufflé ou parlé sur ce pain qu’ils prennent entre leurs doigts, sur le vin qu’ils mettent au calice, qu’il n’y demeure ni pain ni vin mais, comme ils parlent de prodigieux mots, par Transsubstantiation Jésus Christ est sous les accidents du pain et du vin caché et enveloppé, ceci est une doctrine des diables et contre toute vérité et ouvertement contre toute Écriture.
Et je demande en ces gros échaperonés où ils ont inventé et trouvé ce gros mot Transsubstantiation.
Saint Paul, saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et les anciens pères n’ont point ainsi parlé mais quand ils ont fait mention de la Sainte Cène de Jésus Christ, ils ont simplement et ouvertement parlé de pain et de vin … »

Furieux, le roi François 1er ordonne une vigoureuse répression qui va mettre fin à l’Évangélisme.
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1 D’autant que quelques évangélistes comme Guillaume Farel, passent au luthéranisme.
2 Alors que, contrairement à Luther, les évangélistes voulaient une réforme pacifique de l’Église.
3 Au début, sous l’influence de sa sœur, Marguerite de Navarre, François 1er était favorable à l’Évangélisme ; allant jusqu’à appeler Lefèvre d’Etaples pour être précepteur de ses enfants.
4 à même la porte de la chambre à coucher du roi.
5 Les « Placards » dénoncent la doctrine de la transsubstantiation et de la messe comme sacrifice. On pouvait lire sur ces placards différents slogans tels que : « On ne doit pas réitérer le sacrifice du Christ » ou : « Il ne peut se faire qu’un homme de 20 ou 30 ans soit caché dans un morceau de pâte » (hostie).

La réforme en Écosse

Sous l’influence d’un prêtre écossais, John Knox (1513-1572), proche de Calvin qu’il a rencontré à Genève, l’Église écossaise va, elle aussi, adopter la doctrine calviniste, mais de façon plus radicale que l’Église d’Angleterre.
Partant du principe développé par Luther et Calvin, à savoir que tous les fidèles sont prêtres de par leur baptême (sacerdoce universel) et qu’ils sont donc appelés par Dieu à exercer des ministères (certes différents) dans l’Église, John Knox rejette la hiérarchisation du clergé de l’Église catholique (évêque, prêtre, diacre) que l’Église anglicane a conservée.
Tant au niveau national que local, il dote chaque communauté chrétienne d’un conseil ou consistoire formé de laïcs1 appelés « Anciens », d’où le nom d’Église presbytérienne2 donné à l’Église écossaise.
Ce sont les consistoires qui prennent en charge la direction spirituelle et matérielle des communautés.
L’Église presbytérienne d’Écosse devient religion d’État lorsque le Parlement d’Édimbourg adopte, en 1560, la Confessio scotica : une profession de foi directement inspirée par le calvinisme.


Le puritanisme

En fondant l’Église anglicane, la reine Elisabeth I a cherché une « voie moyenne » entre l’Église catholique et la réforme protestante. Mais une partie du clergé et des fidèles inspirés par la doctrine de Calvin refusent ce qu’ils appellent « les guenilles du papisme ».
Ils réclament une Église purifiée (d’où le terme puritanisme) de tout ce qui porte l’empreinte du catholicisme. Contre l’Église d’État de la reine Elisabeth I, ils exigent une Église entièrement indépendante de l’État et une autorité plus grande accordée à l’Écriture.
Ils revendiquent en outre la suppression de l’épiscopat et une liturgie plus dépouillée.
Persécutés à partir de 1570 par les souverains anglais qui ne pouvaient accepter une séparation de l’Église et de l’État, de nombreux puritains furent contraints de s’exiler aux Pays-bas qui étaient passés au calvinisme.
C’est en ces circonstances qu’en 1620 un petit groupe de puritains embarqua sur le May Flower pour se rendre en Nouvelle Angleterre où ils fondèrent les Églises presbytériennes d’Amérique.

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1 Élus par les membres de la communauté.
2 « Presbytérien », du grec « presbuterion », « conseil des anciens ». L’appellation d’« Église presbytérienne » est associée à l’Écosse pour la distinguer de l’Église d’Angleterre où domine l’épiscopalisme.

La réforme anglicane

Bien que l’Église d’Angleterre ait été déjà fortement secouée, aux XIVe et XVe siècles, par le mouvement évangélique du théologien John Wyclif1 et de ses disciples (les Lollards2), la séparation entre l’Église d’Angleterre et Rome n’est pas, comme en Allemagne et en Suisse, l’œuvre de théologiens.
C’est le roi Henri VIII (qui règne de 1509 à 1547) qui est à l’origine de cette rupture, non pas pour des raisons d’ordre théologique mais pour une question de remariage : le roi veut répudier sa femme Catherine d’ Aragon qui ne lui donne pas d’héritier mâle et épouser Anne Boleyn.
Le pape Clément VII lui refusant l’autorisation de divorcer, Henri VIII - en particulier sous l’influence d’un de ses conseillers, l’évêque Thomas Cranmer3 (1489-1556) - se tourne vers une commission ecclésiastique anglaise et obtient d’elle l’annulation de son mariage.
Le pape réplique aussitôt par l’excommunication du roi et de Thomas Cranmer en 1533.
Furieux, Henri VIII fait voter par le parlement, en 1534, l’« Acte de suprématie » qui fait du roi le chef suprême de l’Église d’Angleterre :
« Comme il est juste et droit que sa majesté le roi soit et doit être le chef suprême de l’Église d’Angleterre et qu’il soit reconnu tel par le clergé de ce royaume dans ses assemblées synodales, le présent parlement, par son autorité, promulgue ce qui suit, pour corroborer et confirmer cet état de choses… :
Le roi, notre souverain seigneur et ses héritiers et successeurs, rois de ce royaume, seront reconnus, acceptés et considérés comme les seuls chefs suprêmes sur la terre de l’Église d’Angleterre…
Ils auront plein pouvoir pour réprimer, redresser, réformer, ordonner, corriger, empêcher et amender toutes erreurs, hérésies, offenses, outrages et crimes, quels qu’ils soient… par leur autorité ou juridiction d’ordre spirituel, cela pour l’agrément de Dieu tout puissant, l’accroissement de la force de la religion du Christ, la conservation de la paix, de l’unité et de la tranquillité de ce royaume, quoi qu’il en soit de tout usage, coutume, loi étrangère, prescriptions ou autres choses contraires à ces dispositions. »
Ainsi, le schisme est consommé entre l’Église d’Angleterre et celle de Rome !
Avec le concours de Cranmer, nommé archevêque de Canterbury, Henri VIII conduit avec une extrême rigueur l’Église d’Angleterre devenue autonome.
Tous ses sujets sont contraints de reconnaître par serment l’autorité religieuse du roi. Ceux qui s’y opposent par fidélité à Rome, comme le chancelier Thomas More, sont exécutés, emprisonnés ou exilés.
Si le clergé, déjà habitué à l’emprise de l’État sur l’Église, prête serment dans son ensemble, il n’en est pas de même chez les religieux. Face à la résistance de ces derniers, Henri VIII fait fermer tous les couvents et saisir tous leurs biens.
Personnellement, le roi, demeurant très attaché à la foi catholique, s’affirme comme le « défenseur de la foi ». En 1539, contre l’avis de Cranmer, il rédige les « six articles » qui condamnent fermement la doctrine luthérienne.
Cependant sous l’influence discrète de Cranmer qui correspond régulièrement avec Calvin l’Église d’Angleterre s’ouvre peu à peu aux thèses des réformateurs protestants.
A la mort du roi Henri VIII, en 1547, son fils Edouard VI (1547-1553) n’a qu’une dizaine d’années. Cranmer en profite pour imposer la doctrine calviniste  (justification par la foi seule ; rejet de la transsubstantiation et de la messe comme sacrifice ; communion sous les deux espèces) sans remettre toutefois en cause l’institution épiscopale4 et les trois ordres : diaconat, presbytérat5 et épiscopat.

En 1549, dans son ouvrage Book of common prayer, il donne à l’Église d’Angleterre une nouvelle liturgie (entièrement en langue anglaise) centrée sur la Parole de Dieu et l’eucharistie.
En 1553, il rédige les Quarante articles, une véritable profession de foi d’esprit nettement calviniste.

Lorsque la reine Marie Tudor (1553-1558) succède à Edouard VI, elle s’emploie aussitôt à restaurer le catholicisme mais avec une telle brutalité et une telle intolérance qu’elle ne fait qu’attiser la colère des protestants et développer leur mouvement.
Durant son court règne, elle condamne au bûcher 300 protestants dont l’archevêque Cranmer lui-même. On la surnommera « Marie la sanglante ».
Quand Elisabeth I (1558-1603) soutenue par le parti protestant, monte sur le trône, son premier geste est de faire adopter par le parlement un nouvel Acte de suprématie et de réaffirmer ainsi qu’elle est seul maître de l’Église d’Angleterre. Elle est aussitôt excommuniée par le pape Pie V en 1570.
Avec Elisabeth I, on assiste à l’établissement de l’anglicanisme. Celui-ci est souvent appelé « voie moyenne » parce que l’esprit qui prévaut est nettement calviniste alors que la liturgie et la structure hiérarchique restent proches de la tradition catholique.
Sous son règne, les catholiques sont soumis à une violente répression. Elisabeth I ordonne de nombreuses exécutions dont la victime la plus illustre est Marie Stuart, reine d’Écosse6.

Nota Bene : Peu de temps après sa montée sur le trône, Elisabeth I exige que tous les membres du clergé prêtent serment à l’Acte de suprématie.
Comme tous les évêques refusent, sauf un, la reine les dépose et en fait consacrer d’autres pour les remplacer. L’évêque qui les consacre (celui qui a prêté serment) utilise un rituel anglican établi sous Edouard VI lequel est déclaré invalide par le pape Paul IV en 15557.
Dès lors, Rome estime que la succession apostolique est rompue au sein de l’Église anglicane.
En 1896 le pape Léon XIII réitère l’invalidité des ordinations anglicanes dans sa bulle Apostolicae curae.
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1 Voir Brève Histoire des Conciles Tome II.
2 « Lollard »: de l’allemand lollen signifiant « marmonner ». Ce mot est attribué par dérision aux partisans de John Wyclif.
3 Thomas Cranmer (1489-1586) est un prêtre acquis au luthéranisme ; nommé par le roi, archevêque de Canterbury, c’est lui qui bénit le mariage d’Henri VIII avec Anne Boleyn. En 1556, il sera condamné au bûcher par la reine Marie Tudor.
4 Pourtant tout à fait contraire à la doctrine de Calvin.
5 Les prêtres sont autorisés à se marier.
6 Marie Stuart s’était réfugiée en Angleterre lorsque son pays était passé à la reforme calviniste.
7 Parce qu’il ne prend en compte ni la doctrine catholique sur le caractère sacrificiel de la messe ni celle sur le prêtre ordonné en vue de la célébration du sacrifice du Christ.

La réforme de Zwingli

Ulrich Zwingli (1484-1531) est un des premiers à se rallier au mouvement de réforme lancé par Luther.
Comme lui, il considère que l’Écriture est la seule autorité dans l’Église.
Dans un traité publié en 1522, il déclare :
« que l’évangile seul est une autorité irrécusable, à laquelle il faut recourir pour terminer les incertitudes, et décider toutes les disputes, et que les décisions de l’Eglise ne peuvent être obligatoires qu’autant qu’elles sont fondées sur l’évangile ».
Comme Luther, il rejette tout ce qui n’est pas explicitement et positivement enseigné par l’Écriture : la distinction entre prêtres et laïcs, la confession, le célibat ecclésiastique, les vœux monastiques, l’abstinence…etc.
Pareillement, il condamne la mariolâtrie et fait enlever des églises toutes les statues et peintures qu’il met au rang des « idoles ».
Néanmoins, il se différencie de Luther sur plusieurs points.
En ce qui concerne les sacrements, si Zwingli, lui aussi, ne retient que deux sacrements, à savoir le baptême et l’eucharistie, contrairement à Luther il ne leur accorde qu’une valeur symbolique.
Dans son Commentaire sur la vraie et la fausse religion, il refuse de croire en la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.
Pour Zwingli, la parole du Christ : « ceci est mon corps » est à comprendre dans le sens « ceci signifie (c'est-à-dire, symbolise) mon corps. »
Le Christ étant au ciel depuis son ascension, dit-il, il n’est présent à la Cène que spirituellement. La Cène est simplement une commémoraison de la Passion du Christ et le moment où la communauté chrétienne se rassemble fraternellement dans la foi en sa résurrection.
Autre différence : alors que Luther cherche principalement en Dieu une réponse à l’angoisse du salut, Zwingli - humaniste comme Érasme1 - voit en Dieu celui qui est source de vérité et donc, en .conséquence, celui qui doit être regardé comme le législateur de l’humanité. Ce qui implique que le pouvoir civil et l’Église doivent tous les deux, adopter comme lois celles de l’Écriture.
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1 Avant Luther, Érasme a exercé une grosse influence sur Zwingli.