mardi 8 juillet 2014

Jean Calvin (1509-1564)

L’organisateur de la Réforme

Français1, Jean Calvin est né à l’ombre de la cathédrale de Noyon en Picardie, un quart de siècle après Luther. Il est le fils d’un administrateur qui gère les affaires de l’évêque de Noyon et des chanoines de la cathédrale. Sa mère, très pieuse, meurt prématurément en 1515, laissant derrière elle Jean et ses trois frères.
Son père le destinait à la prêtrise mais lorsqu’il entre en conflit avec les chanoines il oriente son fils vers le droit.
Grâce à un « bénéfice ecclésiastique » il fait ses études à Noyon puis à Paris au collège Montaigu où, pendant cinq années, il découvre les œuvres des auteurs grecs et latins et celles des Pères de l’Église2. C’est là aussi qu’il entre en contact avec les idées des humanistes et celles de Luther.
On le retrouve ensuite à Orléans et à Bourges où il étudie le droit, puis de nouveau à Paris.
Quand et pourquoi Calvin adhère-t-il à la Réforme ? Il est difficile de le dire avec précision3.
Ses options réformistes apparaissent clairement en1533, lorsqu’il participe à Paris à la rédaction d’un discours universitaire d’inspiration luthérienne.
En 1534 Calvin signifie son éloignement de l’Église catholique en résiliant son bénéfice ecclésiastique. La même année, quand éclate l’« Affaire des placards » dirigée contre la messe romaine, il est soupçonné d’être mêlé à l’opération et se voit contraint de quitter le territoire4.

Calvin se réfugie alors à Bâle5. Là, après avoir approfondi sa formation théologique, il rédige (en latin) la première version de l’Institution de la religion chrétienne6 qu’il publie en 1536. Cet ouvrage contient l’essentiel de ses idées sur la loi, la foi, la prédication, les sacrements et les rapports entre les chrétiens et l’autorité civile. Il le dédie à François 1er7  :

« Quelle chose convient mieux à la foi que de nous reconnaître nus de toute vertu, pour être vêtus de Dieu ? Vides de tout bien pour être emplis de Lui ? Serfs du péché, pour être délivrés de Lui ? Aveugles, pour être de Lui illuminés ? Boiteux, pour être de Lui redressés ? Débiles, pour être de Lui soutenus ? De nous ôter toute manière de gloire, afin que lui seul soit glorifié, et nous en Lui ?...
Un roi qui n’obéit pas à Dieu et ne cherche pas avant tout la gloire de Dieu, n’exerce pas une autorité légitime, mais un brigandage8. »

Dans cet ouvrage qui va donner un nouveau souffle à la Réforme, il rompt officiellement avec l’Église romaine :

« Le service de Dieu est défiguré par diverses formes de superstitions… (puisque) la doctrine sans laquelle la chrétienté ne peut consister y est ensevelie ou rejetée… (puisque) les assemblées publiques sont écoles d’idolâtrie et d’impiété… il ne faut point craindre… le divorce avec l’Église de Dieu »

Lorsque Calvin est de passage à Genève, Guillaume Farel9 qui - par ses sermons enflammés, a décidé le Conseil de la ville à adhérer au protestantisme - fait appel à lui pour organiser la Réforme.

Là, Calvin rédige une Confession de foi et des articles sur le gouvernement de l’Église locale. Mais les genevois regimbent vigoureusement devant la nouvelle Confession de foi et le mode de vie qui leur est imposé.
Obligé de quitter Genève en 1538, Calvin se rend à Strasbourg10 où il rencontre Martin Bucer11 qui lui confie les fonctions de pasteur12 et de professeur de théologie.
Durant les trois années qu’il passe à Strasbourg - des années qu’il considère comme les plus belles années de sa vie - il publie successivement son Commentaire sur l’épître aux romains, son Petit traité sur la Cène et fait paraître la première édition en français de l’Institution de la religion chrétienne.
C’est également durant son séjour à Strasbourg qu’il épouse une veuve de pasteur, Idelette de Bure13, qui lui donnera deux enfants qui mourront tous deux en bas âge. Dès la première version de l’Institution de la religion chrétienne en 1536 Calvin avait plaidé énergiquement en faveur du mariage des pasteurs.

En 1541, Genève le rappelle instamment. Calvin y retourne à contrecœur et moyennant deux conditions :

« Je ne voulus jamais accepter le ministère, qu’ils ne m’eussent juré ces deux points, à savoir de tenir le catéchisme et la discipline. »

En se rendant à Genève, Calvin a la ferme intention de n’y rester que six mois, le temps d’organiser la réforme de l’Église genevoise. En fait, il y demeurera jusqu’à sa mort, avec la conviction qu’il est, comme les prophètes, envoyé par Dieu pour être son porte parole.
Que fait-il pendant 23 ans ?
Tout d’abord, il prend une part décisive à la rédaction d’Ordonnances ecclésiastiques qui vont doter l’Église genevoise d’institutions affranchies de la tutelle du pouvoir civil mais qui sont toujours prises en accord avec celui-ci14.
L’objectif de ces Ordonnances est d’encadrer la vie des croyants dans l’Église et dans la cité selon les prescriptions de l’Écriture. Elles traitent de tous les aspects de la vie courante : assistance au culte, mœurs, distractions, sorties nocturnes, vêtements.
A titre d’exemple, voici quelques extraits des Ordonnances ecclésiastiques de Genève datées de 1541 :

« On vous fait savoir :
  • que chacun est tenu de venir le dimanche ouïr la Parole de Dieu.
  • que nul ne doit jurer ni blasphémer le nom de Dieu et ce sur la peine, la première fois, de baiser terre ; la seconde fois de baiser terre et de donner trois sous et la tierce, d’être mis en prison trois jours.
  • que personne n’ait à jouer à or ni argent.
  • que personne n’ait à aller par la ville passée neuf heures sans chandelle, sous peine d’être mis en prison 24 heures.
  • que personne n’ait à danser, sinon aux noces, ni à chanter chansons déshonnêtes, ni se déguiser… et ce sur la peine de 60 sous, et d’être mis en prison trois jours au pain et à l’eau.
  • que chacun soit tenu de révéler à messieurs ceux ou celles qu’il aura trouvés délinquants aux articles susdits »

Elles ont également pour but de définir les diverses tâches à accomplir dans l’Église et de préciser les quatre types de ministres qui en auront la responsabilité, à savoir les Pasteurs, les Docteurs, les Diacres et les Anciens.
Elles prévoient également la Création d’un Consistoire composé de pasteurs et d’anciens ; il est chargé de surveiller dans l’Église la doctrine et les mœurs, et de faire réprimer toutes déviations par le pouvoir civil15.
Les sanctions peuvent aller jusqu’à la peine de mort.
C’est le cas pour le médecin Michel Servet16 qui dans son ouvrage
De Trinitatis erroribus (Des erreurs de la Trinité) remet en question le mystère de la Trinité en niant la divinité du Christ.
Tandis que Calvin, indirectement, le menace de mort s’il revient à Genève :
« Servet m’a écrit récemment et il a joint à ses lettres un long volume rempli de ses délires et accompagné de sa jactance fanfaronne, en m’annonçant que j’allais voir des choses étonnantes et jusqu’ici inouïes.
Si la chose me plaît, il déclare qu’il viendra jusqu’ici. Mais je ne veux pas lui donner ma parole, car s’il vient, pourvu que mon autorité ait quelque force, je ne souffrirai pas qu’il s’en aille en vie17 »
,

Servet passe outre l’ordre de Calvin et revient à Genève. Il est alors condamné à mort en 155318. Sur le bûcher, il a fixé ses écrits à sa jambe et prononce ces derniers mots : « Jésus, Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi.»
De nombreux protestants réagiront avec véhémence contre cette condamnation de Michel Servet commanditée par Calvin. Ils estiment que cette manière violente ne peut pas servir à la conversion des hérétiques.
L’un d’eux, Sébastien Castellion19, fera à Calvin cette réflexion qui deviendra célèbre :
« Tuer un hérétique, ce n’est pas supprimer une hérésie, c’est tuer un homme. »

En ce qui concerne le culte, Calvin remplace la messe romaine par la Cène. Elle est célébrée sous les deux espèces mais, contrairement aux vœux de Calvin, elle n’est fixée qu’à Noël, Pâques, la Pentecôte et au premier dimanche de septembre.
Toute la liturgie que Calcin écrit entièrement lui-même, doit être, dit-il, « en langue commune et connue du peuple », c'est-à-dire en français.
Il réserve une très grande place à la prédication : le dimanche, il fait deux sermons et, les autres jours, il prêche quotidiennement une semaine sur deux, en suivant un par un les Livres de la Bible. A la fin de sa vie, ne pouvant plus quitter son lit, Calvin se fait transporter jusqu’à la chaire de la cathédrale
saint Pierre pour continuer sa mission de prédicateur.
Il donne une grande importance aux chants des psaumes traduits en vers par le poète Clément Marot.
Dans les églises, Calvin part en guerre contre toutes les statues et les tableaux qui s’y trouvent :

« Sitôt qu’il y a des images dans un temple, écrit-il dans l’Institution de la religion chrétienne, c’est comme une bannière pour attirer les hommes à idolâtrer »

A une époque où l’on présente et vénère le Christ et toutes sortes de saints somptueusement vêtus, Calvin livre cet avertissement :

« Le premier vice, racine du mal, a été de ne pas chercher Jésus Christ en sa Parole, en ses sacrements et ses grâces spirituelles. Le monde, selon sa coutume, s’est amusé à ses robes, chemises et drapeaux et, ce faisant, a laissé le principal pour suivre l’accessoire. »
Préoccupé de donner aux chrétiens une solide formation religieuse, Calvin publie des commentaires sur la Bible et compose, en 1542, un catéchisme avec questions et réponses.
C’est animé de la même préoccupation de formation chrétienne que Calvin fonde, en 1559, une Académie de théologie en vue, principalement, de préparer les futurs pasteurs à leur ministère20. Théodore de Bèze en sera le premier recteur21.
Dans cette académie de Genève viendront se former une pépinière de pasteurs qui sillonneront l’Europe et en particulier la France22. C’est par eux que le calvinisme s’implantera durablement sur le territoire français.
A cinq d’entre eux qui vont être exécutés à Lyon en raison de leur prosélytisme, Calvin envoie cette lettre :

« Vous savez qu’en partant de ce monde, nous n’allons pas à l’aventure, non seulement pour la certitude que vous avez qu’il y a une vie céleste, mais aussi pour ce qu’étant assurés de l’adoption gratuite de notre Dieu, vous y allez comme à votre héritage.
Ce que Dieu vous a ordonné, martyrs de son Fils, vous êtes comme une marque de surabondance… et puisque le Seigneur emploie votre vie à une cause si digne qu’est le témoignage de l’évangile, ne doutez pas qu’elle ne lui soit précieuse. »

Calvin exhorte constamment ses fidèles à exercer leurs responsabilités de citoyens dans tous les domaines : religieux mais aussi politique, économique, éthique et social. C’est dans la mesure, dit-il, où, sous la mouvance de l’Esprit Saint, ils exercent leurs responsabilités de chrétiens dans la société qu’ils parviendront à mener la création à son terme.
De fait, les pasteurs ne se préoccupent pas seulement de la vie spirituelle de leurs fidèles, mais de la prospérité économique du pays23, de la justice dans la répartition des richesses et de la vie des pauvres et des chômeurs.
Au niveau social, Calvin lui-même a exercé une action importante. Lors d’une épidémie de peste à Genève, il exige que tout un village soit réservé aux pestiférés et qu’un pasteur soit désigné pour assister les mourants.
Lorsque de nombreux protestants sont chassés de leur pays (principalement de la France) et viennent se réfugier à Genève (ils seront plus de 20.000 en 1550), il demande aux genevois de construire un étage supplémentaire dans leur maison pour pouvoir les héberger.
A partir de 1554, Calvin ayant désormais une autorité solidement établie, consacre alors toute son énergie à faire de Genève une « Cité de Dieu24 » où: magistrats et ministres de l’Église, chacun dans son domaine propre25, veille à ce que la doctrine soit prêchée et que le comportement de tous soit conforme aux prescriptions de l’Écriture.
Lorsque Calvin, épuisé par l’énergie dépensée et par une santé précaire, meurt à l’âge de 55 ans26, il a fait de Genève, la ville qu’on appellera la « Rome protestante ».
A la veille de la mort de Calvin, Théodore de Bèze recueille de ses lèvres ces quelques mots :

« J’ai eu beaucoup d’infirmités… mon intention était bonne et mes vices m’ont toujours déplu ; la racine de la crainte de Dieu a toujours été en mon cœur. Vous pouvez dire cela que l’affection a été bonne et je vous prie que le mal me soit pardonné, mais que s’il y a eu du bien, que vous vous y conformiez et l’ensuiviez. »
____
1 Se considérant comme profondément français, Calvin ne reçoit la citoyenneté genevoise que très peu de temps avant sa mort.
2 En particulier saint Augustin.
3 L’excommunication de son père et le refus du clergé de l’enterrer religieusement ont sans doute dû jouer dans son attitude à l’égard de l’Église catholique. On sait aussi qu’à Paris, Calvin a rencontré des partisans de Luther.
4 Lorsque des pamphlets exprimant des idées protestantes et tournant en dérision la messe romaine sont « placardés » jusque dans le château d’Amboise où réside le roi François 1er celui-ci, craignant la division du pays et un schisme avec Rome, déclenche une répression systématique contre les protestants.
5 Bâle est en rupture avec Rome depuis l’année 1529.
6 Car il ne cessera de l’approfondir au fil des années. Six éditions successives compléteront la première version.
7 Qui, au début de son règne, était très ouvert aux idées de la Réforme.
8 Epître au Très chrétien roi de France.
9 Originaire de Gap, Guillaume Farel (1489-1565), après avoir adhéré, comme Lefebvre d’Etaples à l’Évangélisme, se convertit au protestantisme et se rend en Suisse romande pour l’amener à la Réforme.
10 Dès 1519, les thèses de Luther ont été affichées aux portes de la cathédrale de Strasbourg.
11 Martin Bucer (1491-1551) est un ancien dominicain qui, après être passé au luthéranisme, gagne Strasbourg où il sera le grand artisan de la Réforme. Esprit conciliant (de trop pour Luther et Calvin !) il tentera d'unifier les Églises réformées.
12 De la paroisse française constituée de protestants chassés de France.
13 Durant les neuf années d’un mariage fondé sur l’estime mutuelle, Idelette secondera Calvin d’une façon admirable. Lui-même sera profondément affecté par sa mort.
14 Il n’est pas question, en effet, de séparation de l’Église et de l’État.
15 Les sentences prononcées par le consistoire doivent recevoir l’approbation des magistrats et ne sont exécutées que sur leur ordre, par le bras séculier.
16 Michel Servet (1511-1553) théologien et médecin d’origine espagnole affirmait que « Jésus Christ n’était pas le Fils éternel de Dieu mais le Fils du Dieu (lui seul) éternel. »
17 Lettre de Calvin à Guillaume Farel.
18 Durant le ministère de Calvin à Genève 58 condamnations à mort et 84 bannissements sont prononcés.
19 Sébastien Castellion (1515-1563) : humaniste et théologien français. Après avoir adhéré à la réforme, il se rend auprès de Calvin qui lui confie la direction d’un collège.
Peu à peu, en raison de divergences concernant la théologie, son amitié pour Calvin se dégrade et fait place à une franche hostilité.
20 Dès sa fondation, l’Académie reçoit l’assistance d’universitaires et d’intellectuels français.
21 Originaire de Vézelay, Théodore de Bèze (1519-1605) adhère à la réforme en 1548. Il sera le premier successeur de Calvin à Genève.
22 A la mort de Calvin, l’Académie rassemble plus de 300 étudiants venus de toute l’Europe.
23 A titre d’exemple, les pasteurs demandent aux réfugiés de développer l’industrie du tissage. Ils s’occupent également de politique salariale en exigeant que les patrons rétribuent convenablement leurs employés.
24 Une Cité de Dieu qui, dit Calvin, doit servir de modèle pour l’humanité.
25 Calvin ne veut ni limiter le pouvoir civil, ni soumettre l’Église à l’Etat, mais instaurer un dialogue et un équilibre entre les deux.
26 Pour, qu’après sa mort, il ne devienne pas l’objet d’un culte, Calvin exige d’être enterré dans la fosse commune.

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