mardi 8 juillet 2014

Didier Érasme (1469-1536)

Le prince des humanistes1

Érasme naît à Rotterdam. Fils d’un prêtre, il le devient lui aussi2 après avoir fait ses études dans des écoles monastiques.
Au lendemain de son ordination sacerdotale, en 1492, il est nommé secrétaire de l’archevêque de Cambrai. Peu après, il continue ses études au collège de Montaigu3 à Paris où il fréquente des universitaires très critiques à l’égard des scolastiques et de la théologie spéculative.
Le séjour qu’il effectue ensuite en Angleterre où il s’initie à l’exégèse biblique, le conforte dans l’idée qu’il faut revenir à l’enseignement évangélique4.
A partir de ce moment là, Érasme se consacre presque exclusivement à l’étude de l’Écriture et centre sa pensée sur le Christ qu’il appelle « le principal éducateur de l’humanité » ; car, dit-il, le Christ révèle tout à la fois la grandeur, la dignité et la liberté de l’homme.
En 1503, dans son ouvrage Manuel du soldat chrétien où il trace les règles de vie du vrai chrétien, il écrit :

« Place devant toi le Christ comme le seul but de toute la vie… Que tu n’aimes rien, n’admires rien, n’attendes rien que le Christ ou à cause de lui. »

Mais, ajoute-il, aimer le Christ ne signifie pas pour autant se contenter de participer « dévotement » aux célébrations liturgiques. Le chrétien doit avant tout chercher à imiter le Christ et mettre en pratique son enseignement. Ses armes, dit Érasme, ne doivent être ni les sacrements ni l’Église visible, mais l’Écriture, rien que l’Écriture et ce qu’elle enseigne :

« Par "le Christ" n’entends pas un vain mot, mais rien d’autre que la charité, la simplicité, la patience, la pureté, bref tout ce que le Christ a enseigné…
Mieux vaut moins savoir et aimer davantage5

Comme les autres humanistes de la Renaissance, Érasme ne cesse de se référer à l’évangile pour critiquer l’attitude des clercs ; en particulier celle des hauts responsables de l’Église qui se comportent souvent d’une façon indigne et qui, surtout, font peser sur les fidèles des préceptes insupportables :

« Lorsque nous exerçons notre tyrannie sous un prétexte de justice et de droit, quand la religion nous sert d’occasion pour ne songer qu’au gain, quand sous l’étiquette de la défense de l’Église, nous sommes à l’affût du pouvoir, quand on prescrit comme profitables aux intérêts du Christ des choses les plus éloignées possible de la doctrine chrétienne6 », nous ne pouvons pas prétendre être des soldats chrétiens. »

En 1511, dans un autre ouvrage (le plus célèbre) qu’il intitule Eloge de la folie7 et qu’il dédie à son ami Thomas More8, il raille avec humour toutes les institutions, en particulier : les universités, les ordres religieux et les structures ecclésiastiques : papauté, épiscopat (et cardinalat9), presbytérat etc.

Dans la Paraclesis(exhortation10) qu’il publie en 1516, Érasme enseigne que le Nouveau Testament est l’expression de la philosophie du Christ :

« La pure et authentique philosophie du Christ ne se présente nulle part plus heureusement que dans le livre des évangiles et que dans les épîtres des apôtres ; si l’on philosophe pieusement, en priant plus qu’en argumentant… Si nous cherchons un idéal de vie, pourquoi trouverions-nous préférable un autre exemple que le modèle, le Christ lui-même ? »

Aujourd’hui encore, Érasme est consulté pour ses conseils pédagogiques d’avant-garde :
« Les hommes ne naissent pas hommes, dit-il, ils le deviennent »,
d’où l’importance qu’il accorde à l’éducation, afin de permettre à l’enfant de s’épanouir, de développer ses potentialités et de corriger ses mauvais penchants.
Érasme insiste aussi sur la nécessité pour l’éducateur de respecter la singularité de l’enfant, son libre-arbitre et sa forme particulière d’intelligence ; sur la nécessité également, pour son ouverture d’esprit, de le mettre en contact avec une grande variété d’auteurs, en particulier d’auteurs anciens qui ont réfléchi sur la condition humaine.
L’important est que le jeune se forge une pensée personnelle et non dictée de l’extérieur :

« Il faut donc, très tôt, écrit-il11, donner aux enfants une éducation libérale »

Vers l’année 1524, Érasme souffre particulièrement de son conflit avec Luther. Bien que les deux hommes revendiquent un retour à l’esprit des origines chrétiennes et ne reconnaissent dans l’Église qu’une seule autorité, à savoir l’Écriture, ils ne tardent pas à s’opposer violemment à propos du libre-arbitre.
Alors que Luther ne voit en l’homme qu’une nature radicalement et irrémédiablement corrompue par le péché originel et donc incapable de penser et d’agir librement, Érasme, en humaniste fondamentalement optimiste, défend la liberté de l’homme.
Certes, écrit-il, dans son Essai sur le libre-arbitre12, l’homme, depuis le péché originel, ne peut trouver seul le chemin du bien, mais la grâce qu’il reçoit de Dieu stimule sa volonté et lui permet de mener une vie juste et charitable.
S’appuyant sur l’Écriture, il enseigne qu’il y a une synergie de la grâce et de la volonté humaine : la grâce de Dieu agit sur la volonté de l’homme afin que celui-ci soit enclin à faire le bien :

« La grâce est comme la force de la volonté qui permet à l’homme de s’employer à ce qui conduit au salut13. »

Bien que certains aient vu en lui un précurseur de la Réforme, Érasme ne cherchera jamais à créer un schisme à l’intérieur de l’Église et ne rompra pas avec Rome14 . Quand Luther, en 1519, sollicite son adhésion à la Réforme, Érasme lui fait cette réponse :

« Je n’ai jamais fait défection à l’Église catholique. Il n’a jamais été dans mes intentions d’accorder une valeur à ton Église, si bien que, homme très infortuné à de multiples égards, je m’estime du moins heureux à ce titre que je me suis constamment tenu éloigné de votre faction.
Je sais que dans cette Église que vous appelez papiste, il y a beaucoup d’hommes qui ne me plaisent pas, mais j’en vois de semblables dans la tienne. Or on supporte plus légèrement les maux auxquels on s’est accoutumé.
Je supporte donc cette Église jusqu’à ce que j’en trouve une meilleure, et elle-même est obligée de me supporter jusqu’à ce que je devienne meilleur. »

Épistolier infatigable, il envoie des lettres à tout ce que l’Europe compte de dignitaires ecclésiastiques, de princes et d’érudits renommés15.
Épuisé par l’ampleur de son travail intellectuel et profondément meurtri par les railleries de Luther à son égard, Érasme meurt à Bâle en 1536.

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1 C’est ainsi qu’on a coutume de l’appeler car il est l’humaniste le plus représentatif de la Renaissance.
2 Mais il ne semble pas avoir exercé son ministère sacerdotal.
3 Célèbre école parisienne connue pour le sérieux des études et pour le régime monastique qu’elle imposait à ses élèves.
4 Ce qu’Érasme appelle « la philosophie du Christ ».
5 Manuel du soldat chrétien.
6 Lettre.
7 La folie de tous ceux qui déclenchent inconsidérément des guerres meurtrières, qui ne cherchent que le gain ou qui ne briguent que les honneurs.
8 Qu’il a rencontré lors de son séjour en Angleterre.
9 Quand le pape Paul III lui propose le cardinalat, Érasme refuse.
10 La Paraclesis est une préface au Nouveau Testament. Conscient que la Vulgate (la traduction latine de la Bible par saint Jérôme) comportait des erreurs, Érasme, à partir de six manuscrits grecs, publie une nouvelle traduction latine du Nouveau Testament.
11 Dans son livre La civilité puérile.
12 Auquel Luther, un an plus tard, répond par son livre intitulé Du serf- arbitre.
13 Diatribe sur le libre-arbitre (1524).
14 Le pape Paul IV mettra cependant ses œuvres à l’Index.
15 Érasme a plus de 600 correspondants à travers l’Europe.

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