mercredi 10 juillet 2013

Marie-Joseph Lagrange (1865-1938)

L’audacieux rénovateur de l’exégèse catholique.

Albert, tel est le prénom que reçoit le futur Père Marie-Joseph Lagrange lorsqu’il naît à Bourg-en-Bresse dans l’Ain, en 1865. Après des études classiques au petit séminaire d’Autun, il fait, sous la pression de son père, des études de droit et devient avocat.

Alors qu’il a commencé ses plaidoiries, il se sent fortement appelé au sacerdoce : « Je lisais assidûment le" Correspondant1", écrit-il, et depuis que j’avais lu la vie de saint Dominique par Lacordaire je ne me couchais plus sans dire : saint Dominique, priez pour moi. »

Après avoir fait un an de séminaire à Issy-les-Moulineaux il entre chez les dominicains2 à Saint Maximin en Provence où il reçoit le nom de frère Marie-Joseph.

Au terme de sa formation en 1884, il enseigne et prêche l’évangile à Toulouse. Il se rend ensuite à Paris, à l’Institut catholique, où il suit les cours de l’abbé Duchesne3 qui applique la méthode de la critique historique à l’étude de l’histoire de l’Eglise primitive.

Peu après s’être initié à Vienne en Autriche aux langues orientales et s’être spécialisé dans l’étude de la Bible, il est envoyé par son Ordre en 1890 à Jérusalem. Il reçoit pour mission de fonder une école d’Ecriture sainte qui recevra le nom d’Ecole biblique de Jérusalem.

C’est en arrivant en Terre Sainte qu’il écrit ces mots : « Je fus remué, vraiment saisi, empoigné par cette terre sacrée, abandonné avec délices à la sensation historique des temps lointains. J’avais tant aimé le Livre et maintenant je contemplais le pays. Aucun doute ne subsiste dans mon esprit sur l’opportunité de pratiquer les études bibliques en Palestine »

Là, il approfondit ses connaissances des langues orientales (l’assyrien, l’égyptien, l’arabe et l’hébreu) et décide de consacrer sa vie à l’exégèse de la Bible, en prenant en compte les récentes découvertes archéologiques et historiques.

Le Père Lagrange, soucieux de concilier science et foi, considère que la méthode historico-critique utilisée pour l’étude scientifique des textes anciens doit pouvoir s’appliquer aussi à la Bible. C’est dans cet esprit qu’il se met au travail avec toute la foi chrétienne qui l’anime.

Peu à peu se dégage en lui une conviction : l’Ecriture sainte n’a pas été rédigée sous la dictée de Dieu comme l’enseigne communément l’Eglise à son époque, mais par des hommes inspirés par L’Esprit Saint : « La Bible, écrit-il, est la Parole de Dieu dans un langage d’homme ».

Dans le but de former les chrétiens, et en particulier les exégètes catholiques, il fonde en 1892 la "Revue biblique" qui a un immense retentissement, pas seulement en France, mais dans le monde. C’est dans cette revue qu’il écrit  en substance que pour interpréter les textes bibliques, il faut se remettre dans le contexte de l’époque où ils ont été écrits, et connaître la psychologie et la manière de s’exprimer des différents auteurs qui ont rédigé ces textes.

Les positions audacieuses qu’il prend notamment sur les premiers chapitres de la Genèse et sur la nature de l’inspiration de l’Écriture suscitent chez beaucoup de violentes critiques, en particulier de la part de certains jésuites et de membres de la Curie romaine qui l’accusent de rationalisme.

La polémique s’amplifie quand il publie, en 1902, "La Méthode historique", c'est-à-dire la méthode qu’utilise l’École de Jérusalem pour interpréter l’Écriture, d’autant que sa publication paraît au moment le plus fort de la crise moderniste qui sera à l’origine de la condamnation, par le pape Pie X, de l’exégète Alfred Loisy.

Bien que ne partageant pas le point de vue de ce dernier qui considère que l’exégèse biblique doit être autonome vis-à-vis du Magistère, le Père Lagrange - sans être l’objet d’une condamnation doctrinale - est contraint par Rome de quitter l’École biblique de Jérusalem.

Malgré l’immense souffrance qui l’envahit, il fait immédiatement acte d’obéissance. « Celui qui n’a pas souffert pour l’Église ne sait pas ce qu’est aimer l’Église » écrit-il à son retour en France en 1912.

A partir de cette date, grâce aux interventions du maître de l’Ordre des dominicains, le Père Lagrange peut reprendre son travail. Par son enseignement, de plus en plus apprécié, il contribuera au renouvellement de l’exégèse catholique.

En 1935, sa santé devenue déficiente l’oblige à revenir à Saint Maximin où il meurt en mars 1938. Sa dépouille sera transportée à Jérusalem et inhumée dans la basilique Saint Etienne où il repose encore aujourd’hui.

Au lendemain de l’encyclique "Divino Afflante Spiritu" publiée en 1943 par le pape Pie XII, l’œuvre du Père Lagrange est reconnue comme exemplaire.

En 1974, le pape Paul VI s’adressant aux membres de la commission biblique pontificale fera cette déclaration élogieuse : « Nous allons emprunter les paroles d’un grand maître de l’exégèse, d’un homme dans lequel ont brillé de façon exceptionnelle la sagacité critique, la foi et l’attachement à l’Eglise : nous voulons dire le Père Lagrange. »

Le procès en vue de sa béatification est ouvert depuis 1988.
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1 Journal catholique dans lequel écrivaient souvent Lacordaire, Dupanloup, Montalembert…

2 Dont l’Ordre vient d’être restauré en France par Lacordaire.

3 L’abbé Duchesne (1843-1922) est l’un des rénovateurs de l’histoire de l’Église à partir des nouvelles découvertes archéologiques.

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