samedi 27 juillet 2013

L'ouverture du concile

Après deux ans et demi de préparation, le 21ème Concile œcuménique de l’histoire s’ouvre1 solennellement, à la date fixée, dans la basilique de Saint Pierre à Rome2, en présence d’environ 2500 Pères conciliaires3 (évêques et supérieurs religieux) ; tous ayant droit de vote et pouvant intervenir dans les débats4.

Outre les Pères conciliaires, sont également présents une centaine d’observateurs5 appartenant aux autres confessions chrétiennes : orthodoxes6, protestants, anglicans, "Vieux catholiques7" , tous ayant été invités par le pape lui-même8.

Parmi les participants, il faut citer également un certain nombre d’experts (appelés "periti" en latin) : théologiens9, liturgistes, canonistes, historiens, etc…consultés dans les commissions et associés à la rédaction des documents10. Sont aussi présents des auditeurs laïcs11 (36 hommes et 15 femmes dont 8 religieuses)12 reconnus pour leur influence dans l’Eglise13.

Après la célébration de la messe de L’Esprit Saint, Jean XXIII qui avait lancé les travaux préparatoires, ouvre solennellement le Concile par un discours qui fait sensation :

"Gaudet Mater Ecclesia14"

Ce discours se veut moins un programme qu’un esprit et une orientation15. Le pape demande que le Concile soit plus "pastoral" que doctrinal, plus positif que soucieux d’anathèmes. Même face aux erreurs du temps, il veut que les Pères fassent davantage preuve de compassion que de condamnation16. Il s’agit moins, dit-il, de lutter contre des adversaires que de trouver un mode d’expression pour le monde dans lequel vit l’Église.

Il désire également que règne un esprit de liberté17 pour que chacun puisse exprimer ce qu’il pense, et il rappelle que le Concile doit constamment se situer dans une perspective œcuménique.

Jean XXIII demande en outre que Vatican II soit un Concile d’ouverture au monde moderne.

Ci-dessous, quelques extraits de ce discours inaugural qui paraissent les plus significatifs et auxquels les Pères conciliaires se référeront tout au long du Concile :

"N’écoutons pas les prophètes de malheur".

«  Notre sainte Mère l’Église est dans la joie. Par une faveur particulière de la divine Providence, le jour si attendu est arrivé où sous la protection de la sainte Mère de Dieu dont nous fêtons aujourd’hui la Maternité, s’ouvre solennellement, auprès du tombeau de saint Pierre, le deuxième Concile œcuménique du Vatican…

Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de Notre ministère apostolique Nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux, manquent de justesse, de jugement et de pondération dans la façon de voir les choses.

Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport au siècle passé ; ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de la vie, n’avait rien à leur apprendre et comme si du temps des Conciles d’autrefois tout était parfait en ce qui concerne la doctrine chrétienne, les mœurs et la juste liberté de l’Église.

Il Nous semble nécessaire de dire Notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur18, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin.

Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la divine Providence qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires…

"Tournons-nous vers le temps présent, sans oublier ce que nous a apporté le passé".

 Puisque la doctrine chrétienne embrasse les multiples domaines de l’activité humaine, individuelle, familiale et sociale, il est nécessaire avant tout que l’Église ne détourne jamais son regard de l’héritage sacré de vérité qu’elle a reçu des anciens.

Mais il faut aussi qu’elle se tourne vers les temps présents, qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique19.

C’est pour cette raison que l’Église n’est pas restée indifférente devant les admirables inventions du génie humain et les progrès de la science dont nous profitons aujourd’hui, et qu’elle n’a pas manqué de les estimer à leur juste valeur…

"Exprimons-nous de manière à être compris de nos contemporains qui vivent dans un monde en pleine mutation".

En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant le même sens et la même portée.

Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral…

"Dénonçons les erreurs mais sans condamner les personnes".

L’Église n’a jamais cessé de s’opposer aux erreurs. Elle les a souvent condamnées, et très sévèrement.

Mais aujourd’hui l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine20.

Certes, il ne manque pas de doctrines et d’opinions fausses, de dangers dont il faut se mettre en garde et que l’on doit écarter ; mais tout cela est si manifestement opposé aux principes d’honnêteté et porte des fruits si amers, qu’aujourd’hui les hommes semblent commencer à les condamner eux-mêmes.

C’est le cas particulièrement pour ces manières de vivre au mépris de Dieu et de ses lois, en mettant une confiance exagérée dans le progrès technique, en faisant consister la prospérité uniquement dans le confort de l’existence.

Les hommes sont de plus en plus convaincus que la dignité et la perfection humaines sont des valeurs très importantes qui exigent de rudes efforts.

Ce qui est important, c’est que l’expérience a fini par leur apprendre que la violence extérieure imposée aux autres, la puissance des armes, la domination politique ne sont pas capables d’apporter une heureuse solution aux graves problèmes qui les angoissent…

"Apportons à l’humanité les richesses que le Christ nous propose".

A l’humanité accablée par le poids de tant de difficultés, l’Eglise dit, comme saint Pierre au pauvre qui lui demandait l’aumône : "de l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ, le Nazaréen, marche"
(Actes 3,6).

Certes, l’Eglise ne propose pas aux hommes de notre temps des richesses périssables, elle ne leur promet pas non plus le bonheur sur la terre, mais elle leur communique les biens de la grâce qui élève l’homme à la dignité des fils de Dieu et, par là, sont d’un tel secours pour rendre leur vie plus humaine en même temps qu’ils sont la solide garantie d’une telle vie. Elle ouvre les sources de sa doctrine si riche, grâce à laquelle les hommes, éclairés de la lumière, du Christ, peuvent prendre pleinement conscience de ce qu’ils sont vraiment, de leur dignité et de la fin qu’ils doivent poursuivre.

Et enfin, par ses fils, elle étend partout l’immensité de la charité chrétienne, qui est le meilleur et le moyen le plus efficace d’écarter les semences de discorde, de susciter la concorde, la juste paix et l’unité fraternelle de tous
. »

En résumé, plutôt que de condamner, Jean XXIII veut que l’Église s’engage dans un triple "dialogue21" : un dialogue avec ses membres , un dialogue avec les frères chrétiens séparés de l’Église catholique, avec les religions non chrétiennes et un dialogue avec le monde moderne.

A la suite de son discours, le pape annonce que le premier sujet sur lequel travailleront les Pères conciliaires sera la liturgie.

Nota Bene : Sous la présidence du cardinal Eugène Tisserant22, la première congrégation23 (assemblée) générale commença le 13 octobre, c’est-à-dire trois jours après l’ouverture du Concile24.
Dès la première séance du Concile, deux tendances se sont dessinées : une majorité soucieuse, dans l’esprit du pape Jean XXIII, d’adaptation de l’Eglise au monde, de dialogue œcuménique, de ressourcement dans l’Ecriture, etc. et une minorité - beaucoup appartenant à la Curie groupée autour du cardinal Alfredo Ottaviani (voir fiche biographique), préfet du Saint Office25, et des évêques de pays de "chrétienté" comme l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, l’Amérique latine - plus soucieuse de la stabilité de l’Eglise et de la sauvegarde du passé. D’où des affrontements inévitables, parfois très vifs.

____
1 Le Concile est ouvert par Jean XXIII et clos par Paul VI.
2 Dans la nef centrale transformée en une immense salle de réunion.
3 32% sont originaires d’Europe occidentale; 23% d’Amérique latine; 13% d’Amérique du nord ; 8% d’Afrique ; 10% d’Asie ; 3% d’Océanie ; 7% du bloc communiste ; 4% du monde arabe. Le groupe national le plus nombreux est toujours l’Italie, mais ne représente qu’un cinquième de l’Assemblée.
4 Lors des Congrégations (assemblée), la seule langue autorisée est le latin.
5 Bien que n’ayant pas droit de vote et d’intervention au cours des débats, ils sont cependant consultés en dehors des séances et contribuent à donner au Concile un esprit d’ouverture. Au nombre de 30 au début du Concile, ils seront 104 à la fin. La décision d’admettre des observateurs non catholiques est unique dans les annales des Conciles œcuméniques.
6 Parmi eux, quelques soviétiques.
7 Voir "Brève Histoire des Conciles" tome IV page 59 – 60.
8 Dans son invitation, il est symptomatique que le pape ne parle pas de "revenir" (au bercail) mais de "participer".
9 Vatican II fait appel à de nombreux théologiens (240) qui travailleront en étroite collaboration avec les évêques.
10 Le pape invitera également 40 prêtres issus du monde entier dont 4 français ; parmi ces derniers : le Père Ferdinand Delmote, curé de la paroisse Saint Maurice à Lille.
11 Notamment le nouvel académicien Jean Guitton, mais aussi le philosophe Jacques Maritain.
12 Cette ouverture aux femmes a suscité de très fortes résistances.
13 Sont également présents de nombreux représentants des médias.
14 "Notre Mère Eglise se réjouit".
15 Jean XXIII n’entend pas dicter l’ordre du jour du Concile. Il veut seulement mettre l’accent sur l’esprit du Concile et sur le climat qui doit prévaloir pour que celui-ci contribue à faire entrer l’Église dans une époque nouvelle de l’histoire.
16 "L’Eglise a suffisamment condamné"  dira Jean XXIII.
17 C’est, en effet, un esprit de liberté qui dominera les travaux du Concile durant les quatre sessions.
18 En employant cette expression Jean XXIII pointait clairement certains membres de la Curie.
19 « Un Concile, dira par ailleurs Jean XXIII, ne consiste pas à regarder l’Église comme un musée, mais comme un jardin à cultiver ».
20 Même au sujet du communisme, Jean XXIII dira : « nous avons autre chose à faire que de jeter la pierre au communisme. »
20 Un mot qui reviendra de nombreuses fois dans les textes conciliaires.
22 Président de l’Assemblée en tant que doyen du collège des cardinaux.
23 Schématiquement le règlement du Concile prévoyait deux niveaux de travail : en assemblée plénière (Congrégation) et en groupe de travail (commission).
24 Le Concile se déroulera sur trois années (de 1962 à 1965), et en quatre sessions de trois mois (d’octobre à décembre).
25 En 1542, le pape Paul III, pour lutter contre le protestantisme crée la Congrégation de l’Inquisition (un tribunal chargé de veiller à l’intégrité de la foi et des mœurs) qui prendra rapidement le nom de Saint Office ; celui-ci sera remplacé par Paul VI, sous le nom de Congrégation pour la doctrine de la foi.

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