samedi 22 mars 2014

Marcel Lefebvre, évêque (1947-1991)

Le refus du Concile Vatican II et le schisme

Marcel Lefebvre1 appartient à une famille d’industriels du Nord de la France dont cinq enfants sur huit s’orienteront vers le sacerdoce ou la vie religieuse.
Durant la deuxième guerre mondiale, son père, René, entre dans la Résistance et meurt suite aux mauvais traitements infligés lors de sa déportation.
Après ses études secondaires, Marcel entre au séminaire français de Rome. Là, il éprouve une admiration sans borne pour un professeur qui lui fait découvrir et aimer l’enseignement des papes du XIXème siècle qui, presque tous, condamnent ce qu’ils appellent les "erreurs modernes" (entre autres : la liberté religieuse, l’exégèse qui tente de réconcilier les textes bibliques et la science, la séparation de l’Église et de l’État, le libéralisme, le socialisme, etc.2).
Après avoir obtenu son doctorat de philosophie, l’abbé Lefebvre est ordonné prêtre en 1929, par Mgr Achille Liénart, à Lille.
Retourné à Rome, il prépare son doctorat de théologie qu’il obtient en 1930, puis rentre en France.
Pendant une petite année, il est vicaire dans une paroisse ouvrière à Lomme, située dans la banlieue lilloise. Puis, après avoir obtenu l’autorisation de Mgr Liénart, il entre chez les Pères du Saint Esprit3.
Sa profession religieuse prononcée, Le Père Marcel Lefebvre est envoyé en 1932 comme missionnaire à Libreville, au Gabon.
Très vite, on lui demande d’être professeur puis directeur du séminaire ; une fonction qu’il assume six années durant.
Juste après, il est nommé supérieur de toutes les missions du Gabon ; révélant pendant tout son mandat de grandes qualités d’administrateur et d’organisateur4.

En fin d’année 1945, il est rappelé en France et se voit confier la fonction de supérieur du scolasticat des spiritains à Mortain, dans la Manche. Là, il forme principalement les jeunes religieux selon l’enseignement des encycliques pontificales.
Deux ans après, il retourne en Afrique, car il vient d’être nommé vicaire apostolique5 de Dakar, au Sénégal.
En 1948, le pape Pie XII nomme Mgr Lefebvre Délégué apostolique6 pour toute l’Afrique francophone qui rassemble plus de deux millions de fidèles répartis dans 40 diocèses7.
Le pape le charge, entre autres, d’ouvrir des séminaires en vue de former un clergé autochtone, et de rechercher des prêtres susceptibles de devenir évêques.
Mgr Lefebvre est nommé archevêque de Dakar, lorsque, sans ménagement, il s’en prend au président sénégalais Léopold Senghor en raison de ses convictions socialistes. Furieux, ce dernier fait part des propos de l’archevêque au pape Jean XXIII qui, en 1962, le retire d’Afrique et le nomme archevêque de Tulle en Corrèze.

Mgr Lefebvre ne reste que six mois dans le diocèse, car il est élu supérieur général des Pères du Saint Esprit.
Lorsque le pape Jean XXIII convoque un Concile, il est appelé, au titre d’archevêque et de supérieur général religieux, à y participer.
Durant le Concile, non seulement il se situe tout de suite dans la minorité conservatrice, mais il affiche catégoriquement son opposition à plusieurs documents conciliaires, en particulier ceux qui concernent la liberté religieuse, la collégialité épiscopale, l’œcuménisme, mais aussi l’Église dans sa relation avec le monde8.
Le Concile Vatican II achevé, Mgr Lefebvre va, au fil des années, durcir de plus en plus son attitude de rejet face aux conclusions conciliaires. Si au début il demeure relativement discret, il va peu à peu exprimer publiquement son opposition.
Déjà, en 1968, lorsque la Congrégation des Pères du Saint Esprit modifie sa Règle9 dans l’esprit de la "Constitution sur la vie religieuse" du Concile, il manifeste sa désapprobation et donne sa démission de supérieur général. Il a alors soixante-trois ans.

Cependant, son opposition au Concile commence à prendre vraiment un caractère public en l’année 1970. Cette année là, à la demande de plusieurs séminaristes en quête, disent-il, d’une formation plus sérieuse, Mgr Lefebvre fonde à Ecône, en Suisse10 - avec le soutien de l’évêque de Fribourg - la "Fraternité sacerdotale de Saint Pie X". L’objectif  étant, selon son expression : de « former de vrais et saints prêtres11 ».
L’année suivante, il obtient de l’évêque de Sion12l’autorisation d’ouvrir un séminaire international, également à Ecône.
La messe y est toujours célébrée en latin, selon le rite traditionnel dit de Pie V.
En raison de la détresse de nombreux catholiques désorientés par ce qu’ils appellent la disparition de la foi13, le bouleversement de la liturgie14 et la perte du sacré, le séminaire d’Ecône connaît un développement rapide ; d’autant que Mgr Lefebvre sillonne tous les continents pour encourager les fidèles à garder la foi et les traditions de leurs pères.
La crise que provoque Mgr Lefebvre dans l’Église va encore s’aggraver en 1974 : après une visite canonique du séminaire d’Ecône par des représentants du Saint Siège qui l’enjoignent d’adopter le "Nouveau Missel" publié par Paul VI en 1969, Mgr Lefebvre réplique en faisant publiquement une déclaration dans laquelle il réclame le rétablissement de ce qu’il appelle « la messe de toujours » :
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi à la Rome éternelle… mais nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le Concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues…
Ces réformes étant issues du libéralisme, du modernisme, sont tout entières empoisonnées. Elles sortent de l’hérésie et aboutissent à l’hérésie…
Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter ces réformes et de s’y soumettre…
C’est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre œuvre de formation sacerdotale… persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la Sainte Eglise catholique, au Souverain Pontife, et aux générations futures.
C’est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs, le culte, l’enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l’institution de l’Église, par l’Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l’influence moderniste du Concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle…
Nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l’Église catholique et romaine, à tous les successeurs de Pierre15. »
Suite à cette déclaration, Rome demande impérativement à Mgr Lefebvre de fermer la Fraternité Saint Pie X et son séminaire. Celui-ci ne tient aucunement compte de cette injonction. Non seulement il poursuit son action de formation de futurs prêtres, mais il ordonne treize prêtres et quatorze sous-diacres.
C’est alors, qu’en 1976, le pape Paul VI le frappe d’une "suspense a divinis16" lui interdisant de célébrer la messe et de conférer des sacrements.
De nouveau, Mgr Lefebvre passe outre l’ordre qui lui est donné. En réponse à la sanction de Rome, il fait de nombreuses conférences au cours desquelles il taxe Vatican II, de « Concile schismatique » et qualifie Paul VI de « pape au visage double ». Quant à l’ensemble des évêques qui adhèrent aux conclusions conciliaires, il les traite de « gauchistes ».
La même année 1976, bravant l’interdiction de Rome, il célèbre à Lille, devant 7000 fidèles, une messe selon le rite tridentin17 durant laquelle il déclare :
« on ne peut pas dialoguer ni avec les francs-maçons, ni avec les communistes, car on ne dialogue pas avec le diable. »
Au même moment, il fait paraître son livre : « J’accuse le Concile ». C’est alors le schisme !

En 1977, Mgr Lefebvre se manifeste encore par deux fois : en laissant des membres de la Fraternité Saint Pie X occuper par la force l’Eglise Saint-Nicolas-du-Chardonnet dans le Vème arrondissement de Paris, et en fondant avec sa sœur religieuse un carmel "intégriste18" à Quiévrain, en Belgique.
Sur le plan politique, Mgr Lefebvre adopte la même attitude conservatrice. Il soutient ouvertement les régimes d’extrême droite y compris les dictatures comme en Argentine et au Chili qui se réclament du catholicisme. C’est ainsi qu’il déclare à propos du général Pinochet :
« Dès qu’un homme se lève pour sauver son pays du communisme, et qu’il établit l’ordre chrétien, on fait tout pour le discréditer. »
La tension entre Mgr Lefebvre et Rome prend encore plus d’ampleur lorsque, en 1986, le Pape Jean-Paul II organise à Assise une rencontre interreligieuse où les représentants de toutes les religions sont invités à une journée de prière pour la paix. Mgr Lefebvre qualifie cette initiative de scandaleuse. Il reproche au pape de faire du « syncrétisme19 », alors que l’intention de Jean-Paul II n’était pas d’inviter les représentants des différentes religions à prier ensemble, mais seulement de se retrouver ensemble pour prier.
Après avoir remis en cause la légitimité du pape Jean-Paul II20 et lui avoir écrit :
« C’est pour garder intacte la foi de notre baptême que nous avons dû nous opposer à l’esprit de Vatican II et aux réformes qu’il a inspirées.
Le faux œcuménisme, qui est à l’origine de toutes les innovations du Concile, dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l’Eglise et du monde, dans la conception de l’Eglise elle-même, conduit l’Eglise à sa ruine et les catholiques à l’apostasie.
Radicalement opposés à cette destruction de notre foi et résolus de demeurer dans la doctrine et la discipline traditionnelles de l’Eglise, spécialement en ce qui concerne la formation sacerdotale et la vie religieuse, nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise »
Mgr Lefebvre procède, le 30 mai 1988, devant 10 000 fidèles, à la consécration de quatre évêques pour, dit-il, « faire survivre la véritable Tradition de l’Eglise ».
Avec les quatre évêques il est alors immédiatement excommunié.

Cependant le dialogue entre Rome et Mgr Lefebvre (et ses disciples) n’est pas rompu pour autant.
Le 2 juillet 1988, le pape Jean-Paul II, pour remédier au schisme et renouer des relations avec des lefebvristes désireux de rester en communion avec Rome, fonde la Fraternité Saint Pierre érigée en vue de permettre à des prêtres de célébrer la messe selon le rite de Pie V, dans la mesure où ils ne rejettent pas le Concile Vatican II.

Après un dernier voyage au Gabon, en 1990, la santé de Mgr Lefebvre se dégrade très rapidement.
Au début du mois de mars 1991, il doit être hospitalisé d’urgence à Martigny, en Suisse. C’est là qu’il meurt le 25 mars.
Son corps repose au séminaire d’Ecône.
A la mort de Mgr Lefebvre, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X est implantée sur presque tous les continents, dans une quarantaine de pays21, et rassemble environ 150 000 fidèles autour de 400 prêtres. Elle possède actuellement six séminaires et 150 prieurés22.
Aujourd’hui encore, le pape Benoît XVI, comme ses prédécesseurs immédiats, ne cesse de tendre la main à La Fraternité Saint Pie X, pour mettre fin au schisme23.

En septembre 2006, après une rencontre entre Benoît XVI et Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, le Vatican fonde l’Institut pontifical du Bon Pasteur.
Les membres de l’Institut sont autorisés à célébrer la messe dite de saint Pie V. Cependant, cette autorisation est donnée en contrepartie d’une reconnaissance de l’autorité pontificale et de la validité de la réforme liturgique issue du Concile Vatican II.
Cet Institut est de droit pontifical, c’est-à-dire relève directement du Saint Siège. Il peut ouvrir un séminaire de rite tridentin qui se tiendra à Courtalain près de Chartres et former des séminaristes en vue du sacerdoce.
Dirigé par l’abbé Philippe Laguerie, l’Institut a son siège à Bordeaux, en la paroisse Saint Eloi.
En janvier 2009, Benoît XVI, à la demande de Mgr Fellay, fait lever l’excommunication des quatre évêques intégristes. Mais ces derniers demeurent suspendus ; il ne leur est pas permis d’exercer leur ministère épiscopal.
Dernièrement, la Commission pontificale a adressé une lettre à Mgr Fellay redemandant que la Fraternité sacerdotale de Saint Pie X reconnaisse le Concile Vatican II, la validité du Missel de Paul VI et le Magistère comme interprète authentique de la tradition. La réponse qui devait être donnée le 22 février 2013, se fait toujours attendre.
____
1 à ne pas confondre avec Mgr Joseph Lefebvre, archevêque de Bourges qui, contrairement à Mgr Marcel Lefebvre a été un ardent défenseur de la liberté religieuse et de l’œcuménisme.
2 Voir Brève "Histoire des Conciles". Tome IV.
3 Plus connu sous le nom de "spiritains".
4 Il s’emploie en particulier à moderniser l’équipement des différents établissements missionnaires.
5 l’équivalent d’un évêque.
6 l’équivalent d’un nonce apostolique.
7 Entre temps, Mgr Lefebvre rencontre à Rome, à la Secrétairerie d’État, Mgr Montini qui lui manifeste clairement n’avoir aucune sympathie pour ses idées.
8 Concernant la Constitution "sur l’Église dans le monde de ce temps", il tentera en vain d’introduire la condamnation du communisme.
9 la Règle du fondateur : François Libermann (1802-1852).
10 dans le canton du Valais.< br /> 11 des prêtres "autres", déclare Mgr Lefebvre, que ceux qui vivent dans l’esprit du Concile Vatican II.< br /> 12 chef-lieu du canton du Valais.
13 En Occident surtout, l’Église connaît, en cette période, une baisse de la pratique religieuse et des vocations sacerdotales.
14 qui n’est plus célébrée comme elle l’était depuis le Concile de Trente (XVIème siècle), selon les directives du pape Pie V.
15 Après cette déclaration, l’évêque de Fribourg retire son soutien à Mgr Lefebvre.
16 une sanction interdisant à un prêtre d’exercer son ministère sacerdotal sauf en cas d’extrême urgence.
17 "tridentin" (de "Concile de Trente") : c’est aussi le nom donné au rite de Pie V.
18 sont qualifiés "d’intégristes" les chrétiens qui refusent le Concile Vatican II. A ne pas confondre avec les "traditionalistes" qui tout en ayant la nostalgie de l’Église préconciliaire, ne rejettent pas pour autant Vatican II.
19 On appelle "syncrétisme", un essai de synthèse entre des éléments appartenant à plusieurs religions, en vue d’obtenir une unification religieuse.
20 suite à la rencontre d’Assise.
21 particulièrement en France et au Brésil.
22 En France, la Fraternité compte actuellement environ 110 prêtres, 60 séminaristes, une petite centaine de religieuses, 35 prieurés et rassemble 40 000 fidèles.
23 Dans la Fraternité existent plusieurs tendances : un courant modéré autour de Mgr Bernard Fellay (suisse) favorable à une réconciliation avec Rome et un autre autour de Mgrs Alfonso Galarreta (espagnol), Bernard Tissier de Mallerais (français) et Richard Williamson (anglais) qui refusent toute idée d’un accord avec Rome.

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