samedi 22 mars 2014

L'histoire des missions depuis les origines de l'Eglise

Fidèles à la parole du Christ le jour de son Ascension : « Allez par le monde entier ; proclamez l’évangile à toutes créatures1. », les apôtres et tous ceux qui sont devenus chrétiens se font un devoir d’annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations.
L’évangélisation est, en effet, entreprise dès le début de l’Église par les apôtres, mais aussi par les chrétiens conscients que leur baptême n’était pas seulement une profession de foi au Christ, mais une responsabilité : celle d’être missionnaires.
Cependant, la manière d’annoncer l’évangile a continuellement évolué au cours de l’histoire de l’Église.

Durant les premiers siècles l’Église - sauf si certains éléments culturels et certaines mœurs sont contraires au message du Christ - adopte la culture et les coutumes des territoires qu’elle évangélise. C’est ce que laisse à penser ce témoignage écrit vers l’année 150 :

« Les chrétiens ne se distinguent pas des autres par leur pays d’origine, leur langue ou leurs coutumes… Leur vie quotidienne ne présente rien de remarquable… Ils habitent aussi bien dans des cités grecques que dans des villes étrangères. Ils vivent les coutumes locales pour ce qui concerne les vêtements, la nourriture et les autres aspects de la vie quotidienne. Mais en même temps, ils nous prouvent le caractère surnaturel et en tout cas inhabituel de leur propre citoyenneté…
En tant que citoyens, ils partagent tout avec les autres, mais en tant qu’étrangers, ils sont seuls à supporter les difficultés. Ils regardent tout pays étranger comme leur terre natale, et considèrent leur terre natale comme un pays étranger.
Ils se marient et ont des enfants comme tout le monde, mais ne tuent pas les bébés dont ils ne veulent pas. Ils ont toujours table ouverte mais jamais leur lit.
Ils vivent dans leur chair, mais non selon la chair. Ils vivent sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois en vigueur, mais vont au-delà de la loi dans leur vie privée.
Ils aiment tout le monde, mais chacun les persécute… Ils sont mis à mort et gagnent ainsi la vie éternelle. Ils sont pauvres et pourtant ils font beaucoup de riches. Ils sont dépourvus de tout et néanmoins comblés. Ils sont voués au mépris et accèdent à la gloire à travers leur déshonneur.
Leurs noms sont maudits et leur gloire éclatante. Ils bénissent ceux qui les outragent. Ils sont insultés et respectent tout le monde.
Lorsqu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs, et lorsqu’ils sont punis, ils se réjouissent comme si on leur rendait la vie. Ils sont traités par les juifs comme des étrangers et sont persécutés par les grecs. Et pourtant ceux qui les détestent ne peuvent trouver aucune raison à leur hostilité.
En bref, les chrétiens sont au monde ce que l’âme est au corps. L’âme anime toutes les parties du corps, de même que les chrétiens sont dispersés parmi toutes les cités du monde. L’âme est dans le corps, mais elle n’appartient pas au corps. Les chrétiens sont dans le monde, mais ils ne sont pas du monde2. »

Partie de Palestine, l’évangélisation - principalement sous l’action de saint Paul et de ses disciples3 - se localise dans les villes côtières du Bassin méditerranéen. Elle s’étend :
au nord : en Syrie ; en Asie Mineure (Turquie) ; en Mésopotamie (Irak).
au sud : en Egypte ; en Arabie ; en Libye ; en Afrique du Nord.
à l’est : en Asie.
à l’ouest : en Grèce ; en Italie ; en Gaule ; dans les îles britanniques.
Le christianisme ne pénètre à l’intérieur des terres que progressivement.

A partir du Vème siècle, les moines forment un corps de missionnaires spécialisés.
En Orient, l’Eglise nestorienne4 commence à implanter l’évangile en Asie centrale : l’Inde sur la côte Malabar5, et la Chine.

En Occident, l’Eglise catholique donne au christianisme une dimension européenne. Les grands acteurs de l’évangélisation sont saint Patrick (Vème siècle) en Irlande ; saint Colomban (VIème siècle) en Gaule ; saint Willibrord et saint Boniface (VIIIème siècle) en Germanie ; saint Anschaire (IXème siècle) en Suède et au Danemark ; les deux frères saints Cyrille et Méthode (Xème siècle) chez les slaves.

Entre le Xème et le XVème siècle, des actions missionnaires sont lancées pour convertir :
les régions les plus reculées d’Europe, en particulier la Prusse, évangélisée par saint Aldebert (Xème siècle).
les pays d’Orient conquis par les musulmans entre le VIIème et le VIIIème siècle6.
l’empire Mongol et la Chine (principalement Pékin évangélisé par les franciscains et les dominicains).
les régions du Midi de la France passées sous l’influence des Cathares7.

Il faut attendre le début du XVIème siècle, c’est-à-dire le commencement des Temps modernes, pour que le christianisme se répande dans presque tous les continents.
C’est durant la période où elle est déchirée par les Réformes (protestante et anglicane) que l’Eglise catholique occidentale se propulse aux quatre coins du monde :

En Amérique latine et centrale

Cette expansion est d’abord l’œuvre des espagnols et des portugais qui se partagent les terres qu’ils ont découvertes8 puis conquises.
En 1494, par le décret de Tordesillas, le pape Alexandre VI confie aux souverains d’Espagne et du Portugal la mission de les christianiser.
Lors de la répartition, l’Espagne reçoit comme zone d’évangélisation : les Antilles, le Mexique, le Pérou, la Colombie, le Venezuela, le Paraguay, l’Uruguay et les Philippines ; tandis que le Portugal reçoit le Brésil, l’Afrique, l’Inde, l’Archipel Malais, la Chine et l’Indochine.
A charge pour les monarques, espagnols et portugais, de recruter des missionnaires pour l’évangélisation, et de procéder à la construction d’églises, d’écoles, d’hôpitaux, etc…
On donnera à cette mission confiée aux souverains, espagnols et portugais, le nom de "Patronage" (royal)9.
Les premiers missionnaires du "Nouveau Monde" qui débarquent, peu de temps après les conquérants10, sont franciscains et dominicains. Les jésuites et les nouvelles congrégations suivront un peu plus tard.
Il est indéniable que ces missionnaires accomplissent une œuvre considérable, en ce sens qu’ils opèrent des millions de conversions et multiplient les constructions (financées par le Trésor royal).
Cependant, persuadés - comme les colons qui détiennent le pouvoir - de la supériorité de la civilisation européenne, la grande majorité des missionnaires impose aux indigènes non seulement la foi chrétienne, mais la culture, les mœurs, l’architecture européennes, au mépris des cultures locales ; beaucoup, considérant que les indigènes sont des sous-hommes, tolèrent qu’ils soient traités comme des esclaves11.
Il faut cependant se garder de généraliser. Parmi d’autres, le missionnaire dominicain espagnol Antonio de Montesimos (1475-1540), ne craint pas, en 1511, d’apostropher en chaire les colons d’Hispaniola12, en ces termes :

« Dîtes, de quel droit et en vertu de quelle justice tenez-vous ces Indiens dans une si cruelle et horrible servitude ?...
Comment pouvez-vous les opprimer et les épuiser ainsi, sans leur donner à manger ni soigner les maladies auxquelles les exposent mortellement les tâches excessives que vous exigez d’eux, et encore serait-il plus juste de dire que vous les tuez pour extraire et amasser votre or quotidien ?
Ces gens ne sont-ils pas des hommes, n’ont-ils pas une âme, une raison ? N’êtes-vous pas obligés de les aimer comme vous-mêmes ? Vous ne le comprenez donc pas, vous ne le sentez pas ? Comment pouvez-vous dormir d’un sommeil si profond, si léthargique ? »

Mais c’est surtout le dominicain Barthélemy Las Casas (1474-1566), lui aussi espagnol, qui entreprend un combat sans relâche pour mettre un terme aux exactions des colons à l’égard des indigènes, et à la chute démographique qu’elles provoquent :

« On garantit comme une chose certaine, écrit-il, que les espagnols ont depuis 42 ans fait mourir par leur inhumaine et atroce politique, douze millions de personnes, hommes, femmes et enfants…
C’est l’avidité des espagnols qui a été l’unique cause de cette horrible boucherie ; ils n’ont connu d’autre dieu que l’or ; ils n’ont senti d’autre besoin que de se gorger de richesses et le plus promptement possible, aux dépens d’hommes doux, paisibles et soumis, qu’ils ont traités plus durement que des animaux, et avec plus de mépris qu’une vile ordure. »

Pour dénoncer cette attitude intolérable des colons, il écrit à plusieurs reprises à l’empereur Charles Quint. Il lui envoie notamment cette lettre:

« Votre majesté, en prince très chrétien, doit se souvenir que les Indes n’appartenaient pas aux rois de Castille et ne leur devaient quoi que ce soit ; c’est seulement par la volonté de Dieu et par la concession de son Vicaire (le pape) que ces royaumes lui ont été commis, avec les gens innombrables qui les peuplent, dans le but de les convertir, de les gagner à la foi par la prédication à la foi en Jésus Christ, tout en conservant leurs biens et en y exerçant la justice en tant que souverain universel. »

En 1542, il obtient de l’empereur la promulgation d’une loi interdisant l’esclavage et déclarant l’égalité entre les indigènes et les européens, mais cette loi restera très longtemps lettre morte.
Il faut ajouter à l’action de Las Casas en faveur des indiens, l’expérience tout à fait originale et d’avant-garde, de missionnaires jésuites menée par le
Père Antonio Ruiz de Montaya (1585-1652). Celui-ci organise au Paraguay et dans une partie de l’Uruguay et du Brésil - dans les terres encore inoccupées par les européens - ce qu’il appelle des "Réductions" ; c’est-à-dire des "petits villages" à l’écart de l’influence européenne. La première "Réduction" est fondée en 1609.
Chaque "Réduction" comprenant au maximum 3 000 habitants, constitue une petite république indépendante13.
Toutes les "Réductions" sont dotées d’édifices publics : églises, cimetières, écoles14, hôpitaux et garderies d’enfants.
A chaque famille est attribuée une maison à titre viager, mais les terres et les instruments agricoles appartiennent à l’ensemble de la "Réduction15".
Les Réductions qui regrouperont jusqu’à 150 000 indigènes disparaîtront à la fin du XVIIIème siècle lorsque les jésuites, sous la pression des colons, seront expulsés de la péninsule ibérique et de ses territoires d’outre-mer16.

Au Canada et en Louisiane

Dès que Jacques Cartier prend pied au Canada en 1534, le catholicisme s’y répand par l’intermédiaire des Français. Les jésuites évangélisent la région des grands lacs et, par la vallée du Mississipi, pénètrent en Louisiane.
Alors qu’ils s’efforcent d’être fidèles à leur principe de respect de la culture indigène, l’afflux énorme des colons amène l’Eglise du Canada et de Louisiane à recopier le modèle européen.

En Afrique

Dès le début du XVème siècle, les Portugais cherchant à ouvrir une voie maritime vers l’Asie, longent les côtes occidentales du continent africain sur lesquelles ils établissent des centres commerciaux. A la fin du XVIème siècle, des missionnaires capucins évangélisent l’intérieur de l’Angola et du Congo, mais leur action est compromise par la Traite des Noirs organisée pour fournir de la main-d’œuvre dans les plantations et les mines d’Amérique du Sud17.

En Asie, une tout autre façon d’évangéliser.

Les premiers missionnaires de l’Inde (franciscains, dominicains, augustins), sont également persuadés de la supériorité de la culture occidentale. Aussi emploient-ils des moyens expéditifs pour baptiser le maximum de personnes18 et les européaniser.
François Xavier (1506-1552), un des tout premiers compagnons d’Ignace de Loyola semble utiliser cette méthode quand il évangélise la côte de Malabar. Cette lettre qu’il envoie au Portugal en 1544 est significative de la mentalité des missionnaires d’alors qui veulent baptiser vite et en masse :

« Il y a une si grande quantité de gens venant à la foi de Jésus Christ que souventes fois, en baptisant, les bras me défaillent de peine et de travail…Il advient parfois que je baptise en un jour tout un village. »

Sur cette zone côtière, François Xavier, à l’exemple de ses prédécesseurs, entre surtout en contact avec la classe populaire.
Ayant sans doute pressenti les limites de sa méthode apostolique, il adopte une tout autre attitude lorsqu’il débarque au Japon en 1551. Là, il commence par entrer en relation et en dialogue avec les élites du pays pour les convertir par la persuasion19.

Roberto Nobili (1577-1656), un autre jésuite, constate lorsqu’il arrive dans le Maduré20, en Inde, que les conversions opérées par ses prédécesseurs ont touché presque exclusivement les castes inférieures et suscité le mépris des brahmanes qui constituent la caste supérieure hindoue.
Après ce constat, il comprend que la tâche préliminaire d’un missionnaire est, en premier lieu, de reconnaître les valeurs culturelles et spirituelles du pays et ensuite, sans les détruire, de les christianiser.
Pour se faire admettre dans la caste des brahmanes, il s’habille et se nourrit comme eux, et apprend leur langue religieuse: le sanskrit.
Peu à peu, Roberto Nobili qui mène une vie d’ascète à la manière hindoue est reconnu par les brahmanes comme un "sannyssi21" et un "guru22".
En une seule année, il parvient à convertir une cinquantaine de brahmanes, mais il est très vite contesté par les missionnaires dominicains et franciscains qui lui reprochent d’adopter des coutumes païennes.

En Chine, les jésuites parviennent à enraciner la foi chrétienne en utilisant la même méthode d’évangélisation que celle de Roberto Nobili, à savoir : prendre le temps de connaître la culture raffinée des populations asiatiques, et la respecter.
C’est ainsi que le Père Matteo Ricci (1552-1610), en arrivant à Pékin, adopte lui aussi le mode de vie des Chinois, puis s’initie à leurs valeurs culturelles et spirituelles.

Très vite, il est convaincu qu’il ne faut pas imposer le christianisme tel qu’il est vécu en Occident, mais qu’il faut "l’adapter" à la civilisation chinoise23. C’est pourquoi la première préoccupation de Matteo-Ricci consiste à approfondir ses connaissances sur le confucianisme, puis à relever les similitudes qui existent entre les valeurs chrétiennes et la sagesse de Confucius24.
Il s’efforce, en outre, d’utiliser le vocabulaire chinois pour parler de Dieu et transmettre le message chrétien.
Par ailleurs, il estime que le culte des ancêtres et de Confucius que pratiquent les Chinois, n’a rien d’idolâtrique et donc rien de condamnable.
Très cultivé25, c’est par son érudition que Matteo-Ricci parvient à établir de solides relations avec les élites intellectuelles du pays, et à opérer les premières conversions.
A sa mort, on estime qu’il y a en Chine quelques milliers de chrétiens appartenant tous au milieu cultivé chinois.
Les successeurs de Matteo-Ricci, également très érudits, impressionnent tellement les élites chinoises par leurs talents de physiciens, de cartographes, d’astronomes…etc, qu’ils sont appelés à la cour impériale comme conseillers. Le prestige des jésuites devient tel qu’en 1692 l’empereur proclame en faveur des chrétiens chinois, un édit de tolérance qui leur accorde la liberté de culte dans tout l’empire du Milieu.
A la fin du XVIIème siècle, les chrétiens en Chine se comptent par centaine de milliers, et se répartissent sur trois diocèses : Pékin, Nankin et Macao.
Mais cette croissance est peu à peu compromise par ce qu’on a coutume d’appeler "la Querelle des rites".

Comme en Inde, se pose rapidement en Chine le problème de l’adaptation du christianisme à une autre civilisation que celle de l’Occident (c’est-à-dire, le problème de l’inculturation du christianisme dans les diverses civilisations).
Pour les missionnaires jésuites - qui se refusent de transplanter tel quel le mode de vie et de pensée des européens dans les territoires asiatiques, et qui s’efforcent de "dé-occidentaliser" le christianisme en vue de l’incarner dans une autre culture - la difficulté n’est pas d’abord d’adopter la langue, l’habillement et la nourriture de l’habitant, mais de présenter le christianisme à travers les valeurs culturelles, le vocabulaire26 et les rites religieux du pays.

Convaincus que tout peuple a reçu une partie de l’esprit chrétien, les jésuites estiment que parmi les valeurs religieuses et morales des civilisations asiatiques, il faut conserver toutes celles qui sont compatibles avec l’évangile. C’est ainsi qu’ils considèrent que le culte aux ancêtres et à Confucius - qui à leurs yeux est un culte purement civil27 - peut être maintenu dans la vie chrétienne d’un Chinois.
Une telle méthode d’évangélisation est vite contestée par certains jésuites
eux-mêmes, mais surtout par les missionnaires dominicains et franciscains qui exigent une conversion radicale,  c’est-à-dire l’adoption du christianisme tel qu’il est pratiqué en Occident28.
Ces derniers accusent les disciples de Roberto Nobili et de Matteo Ricci de syncrétisme29 et font appel à Rome.
Dans un premier temps, Rome donne son entière approbation à la méthode d’évangélisation des jésuites, mais en 1704, le pape Clément XI, victime de multiples pressions, condamne la façon de faire des jésuites.
Persuadés que le pape est mal informé, les jésuites lui font appel. L’empereur de Chine lui-même entreprend une démarche auprès de la papauté, mais en vain.
Vexé de ne pas avoir été entendu, l’empereur promulgue, en 1724, un édit qui interdit l’évangélisation et qui déclenche une première vague d’expulsion des missionnaires.
Quand, en 1742, le pape Benoît XIV confirme la décision de Clément XI, presque tous les missionnaires sont expulsés et les chrétiens sont persécutés.

En Indochine, l’évangélisation est principalement l’œuvre du jésuite français Alexandre de Rhodes (1591-1660).
A partir de 1630, il se met à apprendre la langue du pays pour lui donner une forme écrite et dans le même temps, il instruit un groupe de catéchistes indigènes qu’il organise comme un Ordre laïc voué au célibat.
Quand le Père Alexandre est chassé d’Indochine en 1645, c’est ce groupe de catéchistes bien formés doctrinalement qui poursuit son œuvre apostolique.
Grâce à eux, l’Eglise indochinoise, au milieu du XVIIème siècle, réunit près de 30 000 chrétiens.

Fondation de la Congrégation de la Propagation de la Foi
Avertie par des missionnaires des conditions inhumaines que les conquérants espagnols et portugais font subir aux indigènes, la papauté prend conscience que l’évangélisation du Nouveau Monde ne peut plus être abandonnée aux pouvoirs publics.
Pour remédier aux innombrables pressions que ces derniers exercent sur les missionnaires pour qu’ils servent leurs intérêts, le pape Grégoire XV fonde en 1622, au sein de la Curie : la "Congrégation pour la Propagation de la Foi".
Cette nouvelle institution se fixe pour objectifs :
de confier la direction des Missions non plus au pouvoir royal, mais à des Vicaires apostoliques30 dépendant directement de la papauté ; et cela, en vue de permettre à l’Église d’exercer directement son autorité sur toutes les Missions étrangères.
de veiller à la formation des missionnaires et de promouvoir un clergé indigène31.
de publier des catéchismes et des textes liturgiques adaptés aux pays du Nouveau Monde.
de protéger les indigènes.
de régler les rivalités entre les religieux des différentes Congrégations.
et de restaurer la foi catholique dans les pays (ou les régions) passés au protestantisme.
Le pape Grégoire XV entend ainsi mettre fin au Patronat Royal32.


Aux XIXème et XXème siècles : une nouvelle vague missionnaire

Après la chute de Napoléon 1er, l’Eglise se lance dans une nouvelle grande étape évangélisatrice.
Jusque là, les activités missionnaires étaient essentiellement l’affaire des franciscains, dominicains, augustins et jésuites. Mais à partir du XIXème siècle beaucoup de nouvelles Congrégations sont fondées33, avec parmi elles, des Congrégations spécialisées pour les Missions outre-mer.
Profitant du déclin de l’Espagne et du Portugal, l’Angleterre et la France - deux grandes puissances rivales - partent à la conquête du Pacifique, du Proche et du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Désormais les missionnaires, ne demeurent plus aux abords des côtes, mais pénètrent profondément à l’intérieur des terres.
Au XIXème siècle, comme dans le passé, la majorité des missionnaires restent animés par un seul souci : assurer le salut éternel aux populations indigènes qualifiées d’ignorantes et d’idolâtres. Ils demeurent imprégnés d’une doctrine théologique qui leur enseigne encore que l’impérialisme européen, en diffusant le christianisme sur toute la terre, entre dans le plan de Dieu, et exerce une action providentielle. Comme aux siècles précédents, le schéma mental du missionnaire est celui de tout européen persuadé de la supériorité - dans tous les domaines - de l’Europe sur le reste du monde, et donc, de la nécessité d’implanter la civilisation occidentale dans les pays colonisés.
Pour ce faire - et c’est là une nouveauté par rapport à leurs prédécesseurs – les missionnaires ont recours à la scolarisation systématique.
Cette scolarisation leur permet d’établir des relations plus profondes avec les indigènes, mais elle a pour effet négatif de leur inoculer peu à peu la civilisation européenne. Au cours de leur scolarité , les autochtones assimilent, en effet, tout à la fois le christianisme, le savoir des européens et leur mode de vie, et cela aux dépens de leur propre culture34.
Les missionnaires ne font pas qu’enseigner ; ils s’emploient à remédier aux situations humaines souvent dramatiques, telles que les famines, les maladies, et l’esclavage des noirs qui persiste malgré son abolition35.

Le souci de trouver des ressources financières pour les Missions est d’abord l’œuvre de la lyonnaise Pauline Jaricot (1799-1862); elle a l’idée36 de constituer des listes de donateurs qui vont se chiffrer rapidement par dizaines de milliers.
Son initiative de collecte méthodique est reprise et amplifiée par "l’Association de la Propagation de la Foi" qu’elle fonde en 1822. Cette Association - pour faire connaître les réalisations et les besoins des missionnaires - publie en 1823 une revue destinée à un large public : "les Annales de la Propagation de la Foi".

Il faut attendre une initiative de Rome pour que les missionnaires soient instamment appelés à dissocier évangélisation et européanisation.
Le pape Grégoire XVI publie en 1845 une instruction où il réclame avec fermeté la mise en place, à tous les degrés, d’un clergé autochtone et le respect des cultures de chaque pays. Ses directives sont à l’ordre du jour au Concile Vatican I en 1870, mais ne peuvent être discutées en raison de la déclaration de Guerre entre la France et l’Allemagne.
Ce n’est qu’à la fin de la première moitié du XXème siècle, que les missionnaires, après les rappels continuels de Rome37, acquièrent définitivement le réflexe de distinguer évangélisation et européanisation38, et prennent clairement leur distance vis à vis des hommes politiques.
Le concile Vatican II, dans le Décret sur "l’Activité missionnaire de l’Église", confirme d’une façon irréversible les directives impératives de la papauté concernant les Missions : non seulement respecter les traditions des pays évangélisés mais les mettre en valeur.

Les Missions intérieures

Les Missions extérieures au continent européen s’accompagnent également d’une organisation de Missions intérieures.
Les Ordres mendiants dominicains, franciscains, augustins ont commencé ce genre de Mission dès leur fondation au XIIIème siècle.
Au XVIème siècle, après le Concile de Trente, les jésuites entreprennent de ramener les régions passées au protestantisme dans le giron de l’Église catholique.
Au XVIIème - XVIIIème siècle, c’est en France que le mouvement missionnaire prend le plus d’ampleur :Vincent de Paul en diverses régions ; Jean Eudes, surtout dans l’ouest ; François de Sales, en Savoie ; Pierre Fourier, en Lorraine ; Jean-François Régis, en Velay ; Louis-Marie Grignon de Montfort, en Vendée,  etc.
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1 Mc 16,15.
2 Extraits de la "Lettre à Diognète".
3 En ce qui concerne les autres apôtres, nous disposons de peu de renseignements fiables.
4 Eglise nestorienne : voir "Brève Histoire des Conciles". Tome I. Pages 36-38.
5 Au sud-ouest de l’Inde où il y a déjà des chrétiens (peut-être, depuis l’apôtre saint Thomas).
6 Durant les huit croisades menées entre la fin du XIème et la fin du XIIIème siècle, les chevaliers européens tenteront vainement d’arracher aux musulmans les terres d’Orient anciennement christianisées.
7 Rechristianisées principalement par les dominicains, les dernières communautés cathares disparaîtront au XIVème siècle. Voir "Brève Histoire de l’Eglise". Tome II. Pages 22-24.
8 par Christophe Colomb, Cortès, Pizzaro, Vasco de Gama, Magellan…
9 en ce sens que la christianisation est sous "le patronage" exclusif des souverains, espagnols et portugais.
10 La pénétration des chrétiens dans le "Nouveau Monde" s’effectue en deux temps : celui des conquérants puis celui des missionnaires.< 11 Les indiens sont tenus à se mettre totalement à la disposition des colons ; ces derniers les réquisitionnent pour les faire travailler dans leurs immenses domaines ("les haciendas") ou dans les mines. Ce procédé aboutit à la dislocation des familles, et par voie de conséquence à une diminution catastrophique des populations indigènes. Cette chute démographique est amplifiée par les épidémies provenant de virus colportés par les européens et auxquels les indiens, souvent sous-alimentés ou mal soignés, ne résistent pas. C’est cette chute démographique qui sera à l’origine de la "Traite des Noirs"pour apporter de la main-d’oeuvre.La pénétration des chrétiens dans le "Nouveau Monde" s’effectue en deux temps : celui des conquérants puis celui des missionnaires.
12 aujourd’hui Haïti.
13 La plus célèbre est la république chrétienne des Guaranis.
14 L’enseignement se fait en langue indigène et dans le respect des cultures. Outre une formation scolaire, les indigènes reçoivent également une formation professionnelle et un apprentissage à la gestion, afin de devenir peu à peu autonomes dans leur exploitation.
15 Chaque famille reçoit cependant un petit lopin de terre pour son usage personnel.
16 En 1773, le pape Clément XIV victime de multiples pressions, supprime la Compagnie de Jésus.
17 dont les populations ont été décimées par les mauvais traitements et les épidémies.
18 Leur objectif étant d’arracher - comme ils le disent - « les âmes du feu éternel. »
19 Trente ans après sa mort, on peut compter 150 000 chrétiens au Japon. La progression aurait sans doute continué si les missionnaires espagnols n’étaient pas arrivés en masse au Japon. Craignant une invasion armée, les japonais commencèrent à persécuter les chrétiens ; en 1595, un millier de chrétiens moururent martyrs à Nagasaki. Il faudra attendre l’année 1865 pour que les missionnaires puissent de nouveau pénétrer au Japon où ils retrouveront des chrétiens ayant survécu malgré les persécutions.
20 une région située au sud et à l’intérieur de l’Inde. La ville de Maduré est un centre brahmanique.
21 Mot hindou signifiant "sage".
22 Mot hindou signifiant "maître spirituel".
23 c’est ce qu’on appelle "l’inculturation", c’est-à-dire, l’enracinement de l’évangile dans les différentes cultures.
24 Confucius (551-479 avant Jésus Christ) est un philosophe chinois. Sa philosophie est avant tout une morale et une sagesse.
25 tout particulièrement en mathématiques et en astronomie.
26 Les jésuites utilisent en effet le vocabulaire chinois pour désigner Dieu et ses attributs.
27 car, expliquent-ils, les chinois n’offrent pas de sacrifice à Confucius et ne lui dédient aucun temple. Ils ne font que lui rendre des honneurs.
28 C’est l’occasion pour beaucoup de missionnaires dominicains et franciscains de s’opposer à la Compagnie de Jésus qui exerce un quasi monopole en Chine.
29 Le syncrétisme consiste à fusionner plusieurs systèmes religieux en un seul.
30 c’est-à-dire, à des prêtres qui ont même autorité que les évêques et qui sont directement reliés à Rome.
31 C’est principalement pour former les futurs missionnaires et pour favoriser la promotion d’un clergé autochtone, qu’est fondé à Paris en 1659 par François Pallu, le "Séminaire des Missions Etrangères".
32 Il faudra malheureusement attendre le pontificat de Grégoire XVI (1831-1846) pour que le patronat Royal soit effectivement supprimé.
33 Voir "Brève Histoire des Conciles". Tome IV. Pages 11-13.
34 c’est en raison de cette méthode qu’on reprochera aux missionnaires d’avoir sapé les cultures locales.
35 en 1807, en Angleterre et en 1848, en France.
36 une idée qui lui vient des protestants.
37 notamment l’encyclique "Maximum illud" du pape Benoît XV, en 1919, et l’encyclique"Rerum Ecclesiae" du pape Pie XI, en 1926, qui rappellent avec force que le rôle des missionnaires est de planter l’évangile, mais en l’enracinant dans les civilisations différentes de la civilisation occidentale.
Le pape Pie XII va encore plus loin en demandant aux missionnaires, dans son encyclique "Fidei donum"(1957), de se mettre au second plan, et à se considérer désormais comme des auxiliaires du clergé indigène.
38 ce réflexe est accéléré par la fin du colonialisme.

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