lundi 7 juillet 2014

La réforme calviniste

Jean Calvin (1509-1564) puise l’essentiel de sa doctrine dans celle de Luther. Comme lui, la justification par la foi seule, l’Écriture comme seule autorité pour les chrétiens et le sacerdoce universel des fidèles, constituent la clef de voûte de sa théologie1.
Cependant dans son œuvre majeure, l’Institution de la religion chrétienne qui offre une bonne synthèse de sa pensée, on relève des différences par rapport à la doctrine luthérienne.

La toute puissance de Dieu

Tandis que Luther centre son message sur le Christ, Calvin le centre davantage sur Dieu à qui revient toute gloire : « à Dieu seul la gloire », dit-il sans cesse.
Il enseigne la souveraineté absolue de Dieu, une souveraineté qui s’exerce sur tous les êtres et tous les événements :
« Nous déclarons que, par la providence de Dieu, non seulement le ciel et la terre et les choses inanimées mais aussi les desseins et les décisions des hommes sont gouvernés par lui de telle sorte qu’ils servent aux fins auxquelles il les a lui-même destinés2. »
En raison de sa transcendance, Dieu, écrit Calvin, est inaccessible aux hommes. Ces derniers ne peuvent le connaître que par la révélation qu’en fait Jésus Christ :
« La majesté de Dieu est trop haute pour dire que les hommes mortels y puissent parvenir, vu qu’ils ne font que ramper sur la terre comme de petits vers3
Ce n’est pas en vain que Jésus est l’image du Dieu invisible : par ce titre nous sommes avertis que si le Père ne se présente à nous par le moyen du Fils, il ne peut être connu à salut4. »
Par l’intermédiaire de la Bible qui est adaptée à la faiblesse humaine, l’homme, écrit Calvin, parvient à connaître Dieu, non pas dans son Être, mais uniquement dans son dessein rédempteur qui culmine lors de l’événement de l’Incarnation et de la Résurrection.
Ainsi Calvin critique toute spéculation :
« Toute théologie qui est hors de Jésus Christ est non seulement brouillée, vaine et confuse, mais aussi pleine de rêveries, fausse et bâtarde… C’est une curiosité sotte et nuisible quand les hommes, ne se contentant point de Lui, aspirent à Dieu par des voies obliques et tortueuses5 ».
Si la Bible, ajoute Calvin, est la seule révélation sur Dieu que l’homme puisse avoir, cette révélation écrite ne peut faire entendre le vrai message de Dieu que moyennant l’intervention de l’Esprit Saint. Lui seul peut ouvrir le cœur du croyant et éclairer son entendement6.

L’homme est justifié par la foi seule et il est prédestiné

S’il est vrai, enseigne Calvin, que l’homme a été créé à l’image de Dieu, il n’en demeure pas moins vrai que, depuis le péché originel7, il est totalement corrompu ; désormais sa nature est entièrement soumise au mal ; il n’a plus de libre arbitre et se trouve dans l’incapacité de faire le bien :
« L’homme ne peut éviter le péché, son libre arbitre s’est changé en serf arbitre8. »
Empruntant, là encore, sa doctrine à celle de Luther, Calvin déclare que Dieu seul peut justifier le pécheur en lui donnant la foi. Le vrai chrétien, dit-il, est celui qui se reconnaît esclave du péché mais « justifié » par le Christ :
« Quelle chose convient mieux à la foi que de nous reconnaître nus de toute vertu, pour être revêtus de Dieu ? Vides de tout bien, pour être emplis de Lui ? Serfs du péché, pour être délivrés par Lui ? Aveugles, pour être par Lui illuminés ? Boiteux, pour être par Lui redressés ? Débiles, pour être par Lui soutenus ? De nous ôter toute matière de gloire, afin que Lui seul soit glorifié, et nous en Lui ?... Que d’attendre tout bien et toute prospérité de Dieu ? »
Par la foi, qui est un don gratuit de Dieu, le pécheur est mis en union avec Jésus Christ et c’est Jésus Christ qui le justifie. Dieu rend le pécheur juste en le « couvrant », c'est-à-dire en lui imputant la justice de son Fils et les mérites de sa passion :
« Le Fils de Dieu, étant pur et net de tout vice, a pris et vêtu la confusion et l’ignominie de nos iniquités et d’autre part nous a couverts de sa pureté. »,
ce qu’il traduit dans ses prières comme par exemple celle-ci :
« Puisque ce jour ne s’est point écoulé sans que je t’aie offensé en plusieurs manières, moi qui suis un pauvre pécheur, veuille, ô Dieu, de même que tu caches maintenant toutes choses dans les ténèbres de la nuit, ensevelir aussi tous mes péchés, selon ta miséricorde, par Jésus Christ mon Sauveur ».
Toutes nos œuvres, écrit Calvin, sont gâtées par nos péchés. Cependant, si elles sont entreprises dans la foi, elles deviennent agréables à Dieu.
Au sujet de la prédestination, Calvin adopte la même position que celle de Luther. Il attribue au bon plaisir de Dieu que certaines personnes croient et que d’autres demeurent dans l’incrédulité :
« Quiconque voudra être tenu pour homme craignant Dieu, n’osera pas seulement nier la prédestination, par laquelle Dieu a ordonné les uns au salut et assigné les autres à la damnation éternelle9
Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin pour laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à la mort ou à la vie10. »
A l’appui de cette thèse et de cette conviction il cite ce passage de saint Paul aux Romains :
« Nous savons, du reste, que toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui son appelés selon son dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier né d’un grand nombre de frères ».
Également dans la ligne de Luther, Calvin enseigne, dans un premier temps, que l’Église est composée des « élus » que Dieu seul connaît, et qu’elle est donc de nature invisible. Mais, par après, il modifie sa pensée en déclarant que l’Église revêt également un caractère visible toutes les fois :
« où nous sommes sûrs que la Parole de Dieu est prêchée et entendue, que les sacrements sont administrés tels que le Christ les institua ; là se trouve, sans nul doute possible, une Église de Dieu »,
et lorsque les personnes, par une réelle vie de foi, d’espérance et de charité, manifestent leur fidélité à l’évangile.

Deux sacrements pour aider les élus à persévérer

Calvin, lui aussi, ne retient comme sacrements institués par le Christ, que le baptême et la Cène. Il les considère comme des signes de l’efficacité de la Parole de Dieu et comme des soutiens de la foi fragile de l’homme :
« Le baptême nous a été donné par Dieu, premièrement pour servir à notre foi envers lui ; secondairement pour servir à notre confession envers les hommes. »
Le baptême, ajoute Calvin, est le signe de notre union avec le Christ et de notre rémission des péchés ; cependant il ne nous remet pas dans notre état d’intégrité qui était celui d’Adam avant la chute : il nous indique seulement que Dieu nous pardonne et nous « recouvre » de la justice du Christ et qu’un jour, dans le futur, nous serons totalement purifiés11.
En ce qui concerne l’eucharistie, Calvin déclare qu’il y a bien présence du Christ, mais d’ordre spirituel, voulant dire par là que lorsque les fidèles mangent le pain et boivent le vin durant la célébration de la Cène, l’Esprit Saint les unit étroitement au Christ ressuscité, homme et Dieu12 :
« La Cène est le banquet spirituel où Jésus Christ nous témoigne qu’il est le pain vivifiant dont nos âmes sont nourries et repues à l’immortalité bienheureuse. »
Comme Luther, Calvin enseigne qu’il n’y a présence du Christ que pour ceux qui ont la foi et, comme lui, il nie le caractère sacrificiel de la Cène.

Pas de distinction entre clercs et laïcs

Reprenant la conception de Luther sur le sacerdoce universel des fidèles conféré par le baptême, Calvin se refuse, lui aussi, de voir une différence entre le sacerdoce du clergé et celui des laïcs. Les uns et les autres, dit-il, doivent assurer ensemble le gouvernement de l’Église.
Dans son ouvrage, Les Ordonnances ecclésiastiques13, Calvin confie le gouvernement de l’Église non aux princes comme le fait Luther, mais aux fidèles eux-mêmes.
Dans le préambule de son ouvrage, il montre sa préoccupation d’instaurer dans Genève une discipline de vie et des mœurs conforme aux enseignements de l’évangile :
« Au nom du Dieu tout puissant… que la doctrine du saint évangile de Notre Seigneur soit bien conservée en sa pureté par l’Église chrétienne et dûment entretenue ; que la jeunesse pour l’avenir soit fidèlement instruite ; l’hôpital ordonné en bon état pour la sustentation des pauvres, ce qui ne peut se faire, sinon qu’il y ait certaines règles et manière de vivre, par laquelle chacun entende le devoir de son office…
Ainsi nous avons ordonné et établi de suivre et garder en notre ville et territoire la police ecclésiastique qui s’ensuit, comme nous voyons qu’elle est prise de l’évangile de Jésus Christ. »
Dans cette perspective, les « Ordonnances » définissent les diverses tâches à accomplir dans l’Église et les quatre types de ministres qui en ont la responsabilité :
  1. les Pasteurs, qui ont pour charge :
    « d’annoncer la Parole de Dieu pour endoctriner, admonester et reprendre… en public comme en particulier… d’administrer les sacrements… et de faire avec les Anciens les corrections fraternelles. »
    Ils doivent être choisis avec soin et discernement :
    « Afin que rien ne se fasse confusément en l’Église, nul ne doit ingérer en cet office sans vocation ; en laquelle il faut considérer trois choses, à savoir l’examen, qui est le principal, après aussi il appartient d’instituer les ministres, tiercement quelle cérémonie ou façon de faire il est bon de garder à les introduire en l’office14. »
  2. les Docteurs dont la mission est :
    « d’enseigner les fidèles en saine doctrine, afin que la pureté de l’évangile ne soit corrompue ou par ignorance ou par mauvaises opinions »,
    et d’organiser les écoles et de préparer des jeunes à devenir pasteurs. C’est parmi les docteurs que sont recrutés les futurs professeurs de théologie.
  3. les Diacres.
    « Il y a toujours eu, dit Calvin, deux espèces de diacres en l’Église ancienne : les uns ont été députés à recevoir, dispenser et conserver les biens des pauvres, tant aumônes quotidiennes que possessions, rentes et pensions.
    Les autres pour soigner et panser les malades et administrer la pitance des pauvres. »
    Il leur revient de s’occuper de l’Hôpital général créé à Genève en 1535 où sont accueillis non seulement les malades, mais aussi les invalides, les mendiants15 et les pestiférés. Ils visitent également les malades de la cité et distribuent aux plus nécessiteux l’argent récolté lors des cultes célébrés dans les paroisses.
  4. les Anciens. Ils ont pour rôle :
    « de prendre garde sur la vie de chacun…et d’admonester amiablement ceux qu’ils verront faillir et mener une vie désordonnée, et là où il en serait métier, faire rapport à la compagnie, qui sera députée pour faire les corrections fraternelles et les faire avec les autres16. »
Avec les Pasteurs, les Anciens forment une assemblée locale : le Consistoire.
Cet organe qui se réunit toutes les semaines a pour mission de maintenir la discipline, de lutter contre les mauvaises mœurs et les déviations doctrinales.
Le Consistoire peut exclure de la Cène les personnes qui ne s’instruisent pas de la foi chrétienne, celles qui ne remplissent pas leurs devoirs religieux ou qui mènent une vie désordonnée.
Il n’a cependant pas compétence pour infliger la moindre peine. Il doit renvoyer les coupables devant les magistrats qui seuls ont pouvoir de châtier les infidèles. Calvin lui-même en définit le rôle :
« Le Consistoire a été constitué pour régler les mœurs. Il n’a aucune juridiction civile, mais seulement le droit de reprendre d’après la Parole de Dieu, et la décision la plus rigoureuse qu’il puisse prendre est l’excommunication ».
Les "Ordonnances" fixent également les règles de fonctionnement et d’organisation de l’ensemble l’Église : à savoir les consistoires au niveau local, mais aussi les synodes provinciaux et nationaux.
Sous l’impulsion de Calvin qui porte un intérêt tout particulier à son pays d’origine, le calvinisme se développe très rapidement en France17 mais aussi aux Pays-Bas, en Angleterre, en Écosse et en Hongrie.
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1 Comme Luther, Calvin appartient à la tradition augustinienne.
2 Institution de la religion chrétienne.
3 La vision de Calvin sur l’homme est empreinte d’un pessimisme des plus sombres. Il décrit tour à tour l’homme sous les oripeaux d’un singe, d’une bête indomptée et féroce quand ce n’est pas un fumier ou une ordure.
4 Institution de la religion chrétienne.
5 Evangile de saint Jean.
6 L’Esprit Saint occupe une grande place dans la théologie de Calvin.
7 C’est-à-dire depuis la faute d’Adam.
8 Institution de la religion chrétienne II, 2,8.
9 En fait pour Calvin, il y a beaucoup plus d’élus que de réprouvés car Dieu, dans sa bienveillance, ne désire qu’une seule chose : le bonheur de tous les hommes. Comme Luther il prêche la confiance en Dieu face à l’angoisse de la mort et du Jugement dernier qu’éprouvent beaucoup de chrétiens.
10 Comme saint Paul et les Pères de l’Église (en particulier saint Augustin) Calvin, à l’exemple de Luther, souligne le caractère premier de la grâce de Dieu : l’homme ne mérite pas son salut par ses œuvres, mais par la seule grâce (sola gratia) de Dieu qui lui est donnée gratuitement par amour. Chez Calvin la sola gratia est le fondement de sa doctrine de la prédestination comprise comme une élection gratuite relevant du bon vouloir de Dieu.
11 Au sujet du baptême des petits enfants, Calvin déclare qu’il est, comme la circoncision, le signe de l’alliance de Dieu avec son peuple.
12 Comme il a déjà été dit plus haut, Calvin accorde une très grande place à l’Esprit Saint ; l’importance du rôle de l’Esprit Saint est particulièrement apparente dans la doctrine calviniste de l’eucharistie ; c’est l’Esprit Saint, dit-il, qui « abolit la distance » et qui, dans l’eucharistie, nous met en communion avec le Christ ressuscité et monté au ciel.
Sans son assistance, ajoute t-il, on ne peut comprendre la Bible ni transformer sa vie. Les ouvrages de Calvin sont parsemés de prières à l’Esprit Saint.
13 Qu’il rédige avec des pasteurs et en collaboration étroite avec les magistrats de Genève.
14 Il revient à l’assemblée des pasteurs de désigner leurs collègues.
15 Si bien que la mendicité n’ayant plus de raison d’être devient interdite.
16 Comme les Docteurs, les Anciens sont désignés par les magistrats.
17 Trois faits majeurs vont favoriser la pénétration du calvinisme en France : la traduction en français de l’Institution de la religion chrétienne, en 1560, l’envoi sur le territoire français de pasteurs formés à Genève et l’Évangélisme.
Au milieu du XVIe siècle, on compte déjà environ 2.000 églises calvinistes en France et, se tient à Paris, le premier synode national qui élabore une confession de foi appelée plus tard "Confession de foi de la Rochelle". A la fin du siècle, les protestants calvinistes (appelés huguenots) constituent 10 % de la population française.

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